Mercenaires : cinq choses à savoir sur le mercenariat en Afrique

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L’utilisation de mercenaires par des parties en conflit est devenue un sujet épineux entre certains Etats. Pour savoir pourquoi certains Etats sont réticents à leur emploi, nous avons contactés deux experts qui s’expriment sur le sujet: le colonel Mamadou Adje, ancien officier supérieur de l’armée sénégalaise et le Dr Boubacar Ndiaye chercheur sur les questions sécuritaires.

Qu’est-ce qu’un mercenaire ?

Le mercenariat est une activité qui a toujours fait partie de l’histoire des conflits armés. Les belligérants ont parfois recours aux services rémunérés de combattants qui prennent part aux hostilités.

 »La guerre et le mercenariat ont toujours été ensemble puisque les guerres avaient pour objectif, la recherche du gain. C’est pourquoi on parle d’ailleurs de butin de guerre. Le mercenariat est aussi vieux que la guerre,  » affirme le colonel de l’armée du Sénégal à la retraite, Mamadou Adje.

Selon lui,  »le mercenaire est celui qui vient en territoire étranger pour s’impliquer dans une guerre, mais qui n’est pas partie au conflit. Il vient monnayer ses talents, il est payé pour ça, pour participer à ces opérations. »

La Convention de l’Union Africaine (OUA) définit le mercenaire comme « toute personne :

  • qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé ;
  • qui en fait prend une part directe aux hostilités ;
  • qui prend part aux hostilités en vue d’obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une Partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle ;
  • qui n’est ni ressortissant d’une Partie au conflit, ni résident du territoire contrôlé par une Partie au conflit ;
  • qui n’est pas membre des forces armées d’une Partie au conflit ; et
  • qui n’a pas été envoyée par un État autre qu’une Partie au conflit en mission officielle en tant que membre des forces armées dudit État »
Colonel Mamadou Adje
Le colonel Mamadou a servi à l’Etat-major général des armées comme conseiller aux Situations d’Urgence, à la Présidence de la République du Sénégal.

Les mercenaires sont-ils légaux ?

Le droit international humanitaire est le levier juridique qui régit les relations entre les belligérants d’un conflit armé.  »On ne fait plus la guerre comme avant, on ne fait plus ce que l’on veut à la guerre. Cela permet d’encadrer un peu le champ de bataille », explique le colonel Adje, contacté par la rédaction de BBC Afrique.

 »Après la Seconde Guerre mondiale, il y a eu la convention de Genève. C’est la Convention de Genève qui a défini qui est soldat. Pour faire la guerre, il faut être soldat, et si on est pas soldat, on est combattant. Le combattant est celui qui est sur un théâtre d’opérations, qui est en tenue, qui porte un insigne distinctif, qui appartient à une structure reconnue et qui agit en fonction des lois de la guerre. En dehors, de cela, vous n’êtes pas combattant », affirme le colonel.

Une définition qui, selon lui, ne prend pas en compte les mercenaires. Ils ne sont pas Partie du conflit bien qu’ils soient présents sur le théâtre des opérations.

 »Les mercenaires ne répondent plus à la notion de combattant sur le théâtre d’opérations. Par conséquent, les mercenaires sont en contradiction avec le droit de la guerre. Aujourd’hui, le droit de la guerre nous rend responsables de ce qui arrive dans les théâtres d’opérations », insiste le Colonel Adje.

Dr Boubacar Ndiaye de renchérir que  »le mercenaire ne bénéficie pas de la protection du droit international s’il est fait prisonnier. Ils n’ont pas le statut de combattant tel que défini par les conventions internationales de conflits armés. »

De plus, le droit international interdit l’utilisation des mercenaires dans les conflits armées. La convention de l’ONU de 1889 est contre également tout recrutement, utilisation, financement et formation des mercenaires.

La convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique, le qualifie de « crime contre la paix et la sécurité en Afrique ». Une contradiction qui pousse les Etats qui font appel aux mercenaires à s’en démarquer.

Pour qui les mercenaires travaillent-ils ?

Le Dr Boubacar Ndiaye reconnaît que des Etats ou des parties en conflit dans un Etat font recours aux mercenaires. Néanmoins, il souligne une autre réalité  »des grandes compagnies, des multinationales ont également une histoire de recrutement de mercenaires en Afrique.  »

Pour le colonel Mamadou Adje, les Etats surtout anglophones font appel aux mercenaires pour leurs compétences.

 »Les mercenaires sont excellents dans le domaine de l’encadrement, dans le domaine du renseignement, surtout dans le renseignement en profondeur, dans le domaine des opérations spéciales », affirme l’ancien officier sénégalais.

Des propos que renforce Dr Boubacar Ndiaye qui souligne que les Etats-Unis utilisent des mercenaires dans le cadre de certaines opérations.

 »Ils sont reconnus dans les pays anglophones, les Américains appellent ça outsourcing. Ils les utilisent dans les théâtres d’opérations en avant des troupes avant le déploiement, ils (les mercenaires) vont aller chercher des renseignements et parfois même, ils participent aux combats, » ajoute l’officier.

Boubacar Ndiaye
Boubacar N’Diaye Professeur titulaire au The College of Wooster (États-Unis).

En quoi un mercenaire est-il différent d’un légionnaire ?

Le mercenaire et le légionnaire ont quelques similarités. En effet, le légionnaire est un soldat d’un corps d’armée appelée Légion étrangère. Selon le colonel Adje, l’une des grandes différences entre les deux est que si un légionnaire commet une exaction sur le terrain, c’est l’Etat pour lequel il combat qui est responsable.

 »Ils sont formés, ils ont des traditions, ils ont un camp militaire, ils ont une adresse, ils sont recrutés par un pays, ils ont un drapeau, ils ont des insignes. Le légionnaire est une unité d’élite que l’Etat revendique. Alors que les Etats se démarquent généralement des mercenaires », dit-il.

Pourquoi le sujet des mercenaires fait polémique en Afrique actuellement ?

 »En réalité, dans les années 70, il y avait un sérieux problème de mercenariat parce qu’il y avait beaucoup de conflits en Afrique à l’époque. Il y avait aussi certaines forces étrangères au continent qui ont utilisé des mercenaires pour faire des politiques dans certains Etats », Dr Boubacar Ndiaye. Ce qui a d’ailleurs motivé l’adoption de la convention de l’OUA sur l’élimination du mercenariat en Afrique.

Le chercheur affirme également que certaines grandes puissances  »défendent leurs intérêts au sens le plus large. C’est un aspect qu’on ne peut pas ignorer. » Et pour lui, le fait que certains partenaires traditionnels de la France par exemple fassent appel aux mercenaires, constituent un désaveu pour l’ancienne puissance coloniale.

Quelle est l’histoire de l’utilisation des mercenaires en Afrique ?

En Afrique, le lendemain des indépendances a été pour plusieurs Etats une période d’instabilité. Certains Etats ont dû faire face à des mouvements de libération. D’autres ont été déstabilisé de l’extérieur.

 »Les Etats africains faisaient face à des mouvements de libération, les Etats ne pouvaient pas répondre aux problèmes posés par ces mouvements de libération. Les armées nationales n’avaient pas la capacité de s’opposer à ces mouvements de libération. Donc on faisait appel à des soldats à l’extérieur pour renforcer la capacité de défense même si par ailleurs, c’était illégal. Donc, des indépendances jusqu’en 1973, ils ont régné en maître en Afrique. Bob Denard (célèbre mercenaire français) était partout, il était au Katanga, aux Comores etc. Les grandes puissances (la France) les utilisaient aussi pour déstabiliser les pays sans reconnaitre ces gens-là. Ils étaient infréquentables mais ils étaient une nécessité pour la défense, » affirme le colonel Adje.

Bob Denard aux Comores
Bob Denard a participé à plusieurs coups d’Etat en Afrique dont trois aux Comores

Après les années 90, l’on est rentré dans les guerres asymétriques.

Dans ces situations, l’ennemi n’est pas en face, il évite la confrontation. Une guerre à laquelle  »’les armées nationales n’étaient pas préparées », estime le colonel Mamadou Adje.

 »Vous voyez ce qui s’est passé en Afghanistan, dans le Sahel etc. Certaines armées ont été défaites, et quand votre armée est défaite, vous cherchez les moyens de la renforcer. On fait appel à l’illégalité mais pour renforcer sa capacité de défense. On ne peut pas empêcher un Etat de prendre des décisions pour renforcer ses capacités de défense, » renchérit l’ancien officier supérieur de l’armée du Sénégal Adje.

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