Au Burundi, l’ouverture en catimini d’un régime dos au mur

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Burundi's President Pierre Nkurunziza talks to the media during a joint press conference with European Union Commission President Jose Manuel Barroso, unseen, at the end of their meeting at the EU Commission headquarters in Brussels, 5 December 2005.

Isolé diplomatiquement, moribond économiquement, le régime burundais montre pour la première fois depuis le début de la crise en avril 2015 quelques timides signes d’ouverture, au point de discuter – bien que dans la plus grande discrétion – avec la plateforme d’opposition Cnared, affaiblie par les défections.

Après avoir obstinément refusé pendant quatre ans de s’asseoir à la même table que le Cnared, même sous l’égide de la communauté internationale, Bujumbura a accueilli samedi le secrétaire exécutif de ce mouvement rassemblant des opposants exilés en raison de la crise née de la candidature du président Pierre Nkurunziza à un troisième mandat controversé.

Les violences qui ont suivi ont fait au moins 1.200 morts, déplacé plus de 400.000 personnes et entraîné l’ouverture d’une enquête par la Cour pénale internationale. L’ONU, dans plusieurs rapports, dont le dernier publié début septembre, dénonce des meurtres, viols, disparitions et tortures commis par le pouvoir.

Soucieux de ménager les caciques les plus radicaux du régime, le gouvernement n’a pas officiellement confirmé que le Cnared est désormais un interlocuteur, se contentant de dire que son secrétaire exécutif Anicet Niyonkuru est à Bujumbura pour préparer les élections de 2020 auxquelles le président a annoncé qu’il ne se présenterait pas.

Mais un haut responsable gouvernemental et un haut responsable du Cnared ont non seulement confirmé à l’AFP que M. Niyonkuru est à Bujumbura en tant que représentant du Cnared, mais également que des négociations ont lieu dans le plus grand secret depuis plusieurs mois.

« Il y a au sein du pouvoir burundais un camp modéré qui estime que le pays va droit dans le mur si rien n’est fait pour mettre fin à la crise actuelle, et un camp de durs composé essentiellement de généraux issus du Cndd-FDD (le parti au pouvoir) qui ne veulent rien lâcher par peur de tout perdre », analyse une source diplomatique, sous couvert de l’anonymat.

« C’est le premier camp qui a initié dans la plus grande discrétion des contacts avec le Cnared », a expliqué le diplomate.

Une délégation du Cnared avait ainsi rencontré à Nairobi une délégation du pouvoir burundais dirigée par l’ancien ministre de l’Intérieur Edouard Nduwimana, un proche du président Nkurunziza, le 30 août et 1er septembre.

– Pressions –

A Nairobi, « on était parvenu à un consensus notamment sur la question de la levée des mandats d’arrêt contre les leaders d’opposition en exil, le retour de ces leaders en vue de participer aux élections de 2020, leur sécurité ou encore l’ouverture de l’espace politique », a assuré un haut responsable du Cnared.

Mais M. Nduwimana avait ensuite publié un communiqué expliquant avoir agi de sa propre initiative, et non au nom du régime, pour rencontrer à Nairobi des leaders politiques ne faisant pas l’objet de mandats d’arrêt burundais.

Un haut responsable gouvernemental assure toutefois que M. Nduwimana a bien été envoyé par M. Nkurunziza et que le communiqué n’a été publié qu’à la suite de pressions des membres les plus radicaux du régime, toujours opposés au dialogue avec le Cnared.

L’ouverture apparente du pouvoir ne vise pas uniquement l’opposition.

Le Burundi vient de nommer un ambassadeur en Belgique, l’ancienne puissance coloniale, après le rappel en 2016 de son prédécesseur. Le général Evariste Ndayishimiye, secrétaire général du Cndd-FDD, a récemment été reçu en audience par le président de la commission de l’Union africaine, et selon des diplomates, le niveau des violences dans le pays a légèrement baissé.

– Pénuries –

« Les modérés du pouvoir se rendent compte aujourd’hui qu’ils doivent composer pour éviter un effondrement économique », analyse le diplomate interrogé par l’AFP, en référence aux nombreuses sanctions économiques visant Bujumbura. « Le pays est au bord de la banqueroute ».

Sevrée d’aides étrangères précieuses, la Banque centrale ne dispose plus que de deux à trois semaines de réserves en devises étrangères pour les importations, sur fond de pénuries chroniques d’essence ou de médicaments.

De plus, le Cnared est devenu un interlocuteur beaucoup plus acceptable aux yeux du gouvernement.

D’une part, ce groupe est très affaibli par de nombreuses défections. D’autres part, ces défections incluent celles de responsables qui exigent l’arrestation de M. Nkurunziza pour les crimes commis par le régime.

Les responsables restant au sein du Cnared, qualifiés de « traîtres » par ceux qui l’ont quitté, tiennent un discours selon eux « réaliste », s’alignant largement sur celui de la communauté internationale, à savoir, en substance, qu’ils sont prêts à regarder vers l’avant tant que le processus électoral se déroule sans encombres.

Enfin, au moins une partie de la communauté internationale a acté l’échec de la politique des sanctions. Dès fin 2018, au grand dam de l’Union européenne, la France avait tendu la main à Bujumbura en reprenant sa coopération directe avec le pays, notamment dans le secteur de la défense.

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