Sénégal: Les dessous des mariages secrets ou takku souff
Au Sénégal, la loi voudrait que tout mariage soit rendu public. Seulement il ne se passe pas toujours ainsi. Aujourd’hui, certains se marient sans prévenir les amis encore moins les parents. On se dit « Oui » dans le plus grand secret. Et on vit « son » amour dans la plus grande discrétion.
Seulement cette forme de mariage en catimini, en cachette ou encore « Takku souff » dans le langage courant n’est pas sans conséquences. Ce sont des conflits lors des séances d’héritage, des mariages entre frères et sœurs ou des conflits purement familiaux. D’une simple déception, la révélation d’une union qui a toujours été intime et personnelle peut virer au drame. Le Témoin perce le mystère.
C’est un choix intime et personnel ! Mais qui n’est pas sans conséquences. Cela peut paraître un superbe conte de fée. Mais cela a fini de tourmenter des épouses et plonger des familles dans le plus profond abîme. Avec le « takku souuf », ou mariage en cachette ou en catimini, des hommes exercent ce droit librement dans la plus grande discrétion. On n’en parle presque pas. Mais c’est une réalité.
Au rythme où vont les choses, une relation amicale, banale qu’elle soit, peut aboutir à une révélation d’un lien de sang ! Aujourd’hui, on compte à la pelle, des frères de même sang qui se fréquentent tous les jours. Qui pourtant n’ont jamais su qu’ils partagent le même père.
C’est le cas de Aliou et Ousseynou. Deux « potes » qui ont toujours vécu comme des « demi-frères » pour avoir pendant longtemps ignoré qu’ils étaient, en réalité, des frères de même sang. Ils ont été d’abord camarades de classe depuis le lycée avant de nouer cette relation amicale. Plus solide que la pierre des montagnes. Pourtant c’est le « même » sang qui bouillonne dans leurs artères. Ils ne le savent pas mais ils sont inséparables. L’un ne sort jamais sans l’autre. Ils font tout, ensemble.
Même pour le choix des habits. On dirait des jumeaux. Du moins leurs traits laissent une ressemblance qui établit le doute. Bon sang, en effet, ne saurait mentir. Il en était ainsi jusqu’au jour où leur vie bascula dans les ténèbres d’un coup inimaginable… Cela faisait en effet plus de 10 ans qu’ils se fréquentaient. Dix bonnes années qu’ils s’étaient donné la main. Sans qu’ils aient le moindre soupçon sur leur ressemblance, la coïncidence portant sur les noms de leurs pères et ce lien qui les liait pour le meilleur et pour le pire.
Sur les cartes d’identité de ces deux « amis », on pouvait lire le même nom de père. Ce qui venait confirmer les doutes de leur oncle paternel sur leur paternité. Il s’en est suivi une enquête sur cette paternité qui révélera le pot au rose. Ce sont bel et bien des frères. Le père de Aliou avait épousé la génitrice de ce dernier dans la plus grande discrétion.
Loin des langues pendues. C’était un mariage fait en catimini. Une union scellée en cachette et communément appelée « Takk souff » au Sénégal. Qui ne manque pas de conséquences liées à l’héritage et aux liens du mariage. Et qui participe aujourd’hui à la dislocation des familles. De la manière la plus indigne.
Sous une bâche installée au milieu du quartier dans un village à quelques kilomètres de la ville de Thiès, amis, parents, proches, connaissances, entre autres, sont tranquillement assis sur des chaises pour certains et à même le sol pour d’autres. Au moment au la famille s’affaire au rituel du deuil. Tout d’un coup, des cris fusent du côté de la concession du disparu. Une femme est venue faire le deuil pour son défunt mari.
Une inconnue pour la famille qui, pourtant, aurait eu deux enfants avec le défunt mari, polygame avec deux femmes. Lesquelles, face à cette femme audacieuse, sont restées sans voix. Déjà elles n’avaient plus la voix car envahies par la perte d’un être très cher à leurs yeux. Un homme avec qui elles ont vécu pendant presque toute leur vie. Depuis qu’elles ont quitté leur domicile conjugal respectif pour rejoindre leur seconde famille.
Ces deux femmes étaient les « seules » connues de la famille et reconnues par la fa- mille. La troisième, venue de « nulle part » et qui a vécu « en cachette », pendant plus de trente ans, avec le mari, ne pouvait pas rater cette occasion. Tout ce qui l’intéressait à ce moment précis, c’était sa « part du gâteau » ; l’héritage. « Elle va faire le deuil. Que vous le vouliez ou pas. C’est une épouse comme vous. Donc elle en a le droit comme le recommande l’Islam. En plus, n’oubliez pas qu’il a deux enfants de sexe masculin avec votre défunt mari », lance une amie de la dame qui est venue avec sa « délégation ». Il s’en est suivi une altercation que les « sages » du village ont essayée de régler avec la manière.
Si certains frères connaissent ce lien de parenté suite à une amitié solide depuis le lycée, d’autres viennent se présenter le jour du décès du défunt père pour être comptabilisés dans l’héritage. Pendant ce temps, des frères et sœurs se marient et vivent leur amour dans l’ignorance. Jusqu’au jour où le « grand secret » est percé. «Je connais une fille qui s’est carrément donné à mort.
Alors qu’elle était sur le point de mettre au monde leur premier enfant. Parce qu’elle a découvert qu’elle faisait l’amour avec son propre frère », a témoigné une dame, la quarantaine, qui fustige ce qu’elle qualifie d « irresponsabilité » de la part des « deux concernés » et de certains « amis-complices ».
Bien qu’on en parle peu, le phénomène est bien réel et prend pourtant de l’ampleur tout en causant d’énormes dégâts dans les familles. Chaque année, des couples choisissent de se dire « oui » dans la plus grande discrétion. Des unions en douce qui laissent parfois un goût amer dans les familles. Allant d’une simple déception à un coup tragique. Comme tout secret finit par être révélé et comme certains ont la langue bien pendue qu’il leur est impossible de garder le plus petit secret, tout s’embrouille et se révèle au grand jour.
Les « Awo » ne sont jamais mises au courant de ces mariages. Et croient toujours être l’ « unique » et la « seule douce moitié » de leurs hommes. « Ces dernières vivent dans la plus grande ignorance pendant que les secondes occupent des appartements luxueux et vivent dans des situations mondaines. En général, c’est l’œuvre des hommes aisés, des hommes qui ont peur de leurs premières femmes et qui ont signé la monogamie, des irresponsables qui n’ont aucun courage et considérés comme des poltrons », s’est-elle résolue de dire.
Parlant du phénomène dans une de ses prêches à la Rts, Imam Makhtar Ndiaye, estime que ce mariage n’est pas recommandé dès lors qu’il engendre, en général, beaucoup de problèmes.
« Par rapport surtout à l’héritage. Parce que aussi bien l’épouse cachée que les enfants issus de ce mariage fait en catimini auront du mal à entrer dans leurs droits en tant qu’héritiers », a dit Imam Ndiaye qui rappelle que le prophète Mouhammad (Paix et salut sur lui) a recommandé de rendre public les mariages pour que nul n’en ignore l’existence. Quid à « battre des tam-tam » et « à danser tout en veillant à ce que les hommes soient séparés des femmes », a tenu à préciser Seyda Adama Fall, enseignante arabe à l’Institut Daara Malick Fall de Toglou.
Maïmouna FAYE FALL avec Le Témoin