Salif Sané : « J’ai voulu arrêter le foot, je n’avais plus envie »
Pur produit du football amateur, Salif Sané (28 ans) s’apprête à monter une marche supplémentaire ce mercredi soir face au Manchester City de Kun Agüero. Avant celle-là, l’ancien Bordelais et Nancéien en a grimpé d’autres, qui l’ont mené en Allemagne jusqu’à Schalke 04. Un parcours cabossé dans lequel l’international sénégalais (27 sélections) puise aussi sa force. Entretien.
Sl paraît que tu n’aimes pas les interviews. C’est vrai ?
Je ne suis pas trop un mec qui aime s’exprimer dans les médias, je préfère parler sur le terrain. Depuis que j’ai commencé ma carrière, j’ai dû faire une ou deux interviews à peine.
Quand tu arrives à Bordeaux en 2009, tu croises Emiliano Sala. Lui aussi venait d’arriver. Tu t’en souviens ?
Franchement, c’était un super mec. Quand il est arrivé, il ne parlait pas très bien français, mais on voyait qu’il faisait déjà tous les efforts pour s’adapter. Le premier entraînement où je l’ai vu, sa combativité m’avait marqué, devant le but aussi. Et il était déjà là à aider tout le monde même s’il ne comprenait pas tout, c’était un chic type. J’ai aussi en mémoire un match de CFA contre je ne sais plus quelle équipe. Il avait marqué un but de la tête, c’était un boulet de canon ! Quand j’ai vu ce but, j’ai fait : « Ouaaaaaah c’est qui ce mec ? »
Après Bordeaux, tu es allé à Nancy. Quelle importance a eu Jean Fernandez dans ta carrière ?
Il a su me faire confiance à un moment où j’avais pas tant d’opportunités que ça, j’avais signé un contrat pro, mais je n’avais fait que cinq matchs de Ligue 1, et miser sur moi comme ça, je pense que c’était vraiment quelque chose d’extraordinaire. Moi, ça m’a donné confiance en moi, et par son savoir-faire et son expérience, il m’a beaucoup apporté.
C’est Fernandez qui t’a fait passer de milieu défensif à défenseur central ?
À la base, j’étais allé là-bas pour jouer arrière droit, mais au bout du deuxième ou troisième entraînement, le coach m’a dit que je n’avais rien à faire à ce poste-là : « Pour moi, tu es un milieu défensif, une sentinelle devant la défense. Arrière droit, oublie ! » Et donc au premier match contre Montpellier, je joue six, à l’extérieur je me souviens, j’avais fait un bon match, même si on avait perdu, et après ce match-là, j’ai enchaîné.
C’est quoi la différence entre jouer au milieu et en défense pour toi ?
Je pense que quand tu sais jouer en sentinelle, ce n’est pas un problème de jouer en défense centrale. C’est à peu près le même poste, juste un cran plus haut, ce sont les mêmes caractéristiques.
Pourquoi être ensuite allé à Hanovre ? Tu n’avais pas d’autres offres ?
Hanovre, c’était le projet le plus concret. Le championnat allemand m’attirait, j’en avais parlé avec mon grand frère Lamine, j’en ai parlé avec ma famille, ils m’ont encouragé à tenter ce challenge.
Qu’est-ce qui t’a marqué quand tu es arrivé en Allemagne ?
Les stades et les fans vivent vraiment le foot. Si tu compares à la France, ils sont dans le futur. Par exemple, les fans qui vont au stade, au minimum, ils connaissent la composition de toute l’équipe, ils savent qui joue où, et l’ambiance est extraordinaire. Ça fait six ans que je suis en Allemagne, et je m’y plais beaucoup.
Lors de la saison 2014-2015, tu as eu un problème avec les dirigeants de Hanovre. Il se dit que tu as commencé la saison avec l’équipe réserve car tu étais parti en sélection sans les prévenir…
Non, je ne suis pas parti sans prévenir le club. En fin d’année, souvent, les clubs allemands organisent des matchs amicaux contre des équipes amateurs de leur région, et moi je les avais prévenus, c’était pour les qualifs de la Coupe du monde à l’époque que je devais voyager avec l’équipe du Sénégal, et que je ne pourrais pas jouer ces matchs. Ensuite, quand je reviens, ils me disent : « Non, tu devais rester, et du coup tu vas aller en équipe réserve. » Je leur ai dit : « Ok, j’irai avec la deuxième équipe, y a pas de soucis. » J’ai fait mes matchs avec l’équipe B, en essayant de rester le plus professionnel possible. Et ça a payé, je suis revenu dans le groupe après.
Ça ne t’a pas énervé ?
Au début un petit peu, les trois premiers jours, c’était dur quand même, mais après je suis habitué, je sais d’où je viens, donc ce genre de choses, ça ne peut pas m’abattre, et j’ai relevé la tête. En plus, j’avais ma famille derrière moi, ça m’a aidé à traverser ça.
La saison dernière, avec Hanovre, tu fais la meilleure saison de ta carrière, tu marques quatre buts, tu es solide. À quoi est-ce dû ?
Je pense que je dois énormément au coach, André Breitenreiter. Dès qu’il est arrivé à Hanovre en 2017, il m’a dit de jouer au foot et de ne pas me prendre la tête, d’être moi-même quoi ! La manière dont il nous parlait faisait qu’on ne pouvait qu’être bon, on ne pouvait que progresser. Il nous motivait, il savait que s’il donnait un peu à l’équipe, l’équipe allait lui rendre en retour. Il savait comment parler avec les uns et les autres et donner confiance, c’est ce qui m’a boosté.
Et comment on te motive ?
(Rires.) On me dit : « N’oublie jamais d’où tu viens » , parce qu’il y a pas si longtemps, j’étais dans mon quartier à Lormont (à 10 kilomètres de Bordeaux, N.D.L.R.), et aujourd’hui je suis en Bundesliga, donc je profite tranquille.
Tu n’as pas fait de centre de formation, tu as évolué à l’US Lormont pendant toute ton adolescence. À un moment, tu as même voulu arrêter le foot. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?
Quand j’étais à Lormont, j’allais jouer pour le plaisir, mais oui à un moment j’ai voulu arrêter, je n’avais plus envie, je n’allais plus aux entraînements. J’ai été à deux doigts d’arrêter, mais il y a un des coachs qui est venu me voir, il m’a dit qu’il fallait que je continue à bosser même si ce n’était pas facile. Il m’a relancé comme ça, et j’ai repris goût au foot. Mais ce n’est pas évident de percer si tard.
En neuf ans, tu es passé de Lormont à la Coupe du monde avec le Sénégal en Russie. Comment as-tu vécu ce moment ?
Un mélange de fierté, de rêve de gosse qui se réalise, et après je suis fier que mes potes du quartier et ma famille aient pu rêver à travers moi. Quelqu’un du quartier qui participe à la Coupe du monde, ce n’est pas tous les jours que ça arrive. Et quand tu entres dans le stade pendant les matchs, c’est là que tu réalises vraiment, c’est impressionnant. Après, sur la compétition, il y a des regrets. Le match qui nous élimine, c’est le Japon. On mène deux fois au score, et finalement, on se fait éliminer à cause du fair-play. Ça a été une grande déception de ne pas passer le premier tour.
Cet été, tu es arrivé à Schalke 04 avec ambition, mais la première partie de saison a été plutôt décevante, non ?
Oui, je suis un peu déçu, avec le début de saison (5 défaites lors des 5 premiers matchs de Bundesliga, N.D.L.R.) qui a été très dur, c’était un truc de fou, on n’avait pas de chance, on se prenait des buts à la FIFA, des contres, et d’un coup, tu voyais le ballon au fond des filets, personne ne comprenait rien. Pendant un moment, je pensais même qu’on était maudits, mais depuis un certain temps, on fait de meilleurs résultats, j’espère que ça va continuer.
On parle de Domenico Tedesco comme d’un entraîneur innovant. Qu’est-ce qui te marque le plus dans sa méthode ?
Il fait beaucoup d’analyses des adversaires. Par exemple, on ne jouera pas de la même manière contre Wolfsburg que contre le Bayern, on ne va pas jouer dans le même système. En fonction de ses analyses, il va nous dire sur quel côté on devra attaquer en priorité. Il analyse énormément l’équipe adverse, au niveau de ses forces et de ses faiblesses. C’est très très poussé.
Vous allez recevoir Manchester City en huitième de finale de Ligue des champions. Avec ton gabarit (1,96m), ça va être difficile de maîtriser Agüero ?
Ça va être super chiant. Déjà, c’est un top attaquant, et en plus il est petit, vif, le temps que je me retourne, il sera déjà loin. (Rires.)
Donc tu préfères être au marquage d’un grand ?
Ouais, je préfère marquer un mec plutôt grand. Les petits comme Agüero, parfois, sans faire exprès, tu leur mets un coup de coude, ce genre de choses.
À côté du foot, l’une de tes passions est le piano. Ça vient d’où ?
En fait, le piano, c’est un délire qui date, j’ai toujours kiffé. J’en ai acheté un et puis j’ai regardé sur YouTube comment les mecs faisaient. J’essaye de reproduire. J’ai commencé en 2012 lors de ma dernière année à Nancy.