Ministère de la Famille, de la Femme et du Genre, les incongruités d’une dénomination (Par Fatou Sow SARR)

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Le gouvernement de Dionne II a introduit pour la première fois le concept Genre dans la dénomination d’un ministère intitulé comme suit : Ministère de la Famille de la Femme et du Genre.
S’il faut saluer l’avancée qui vient d’être faite, il faut s’interroger sur la maitrise des concepts usités.

Enjeux des termes utilisés

Ce ministère, depuis les années 80 n’a cessé de changer de nom. On a assisté à de nombreuses compostions et recompositions autour des concepts de Femme, Enfant, Famille, Petite Enfance, Action Sociale, Solidarité Nationale, Développement social, Entreprenariat féminin et micro-finance. En 2001, nous avions interpelé le gouvernement sur l’utilisation concomitante des termes d’Action sociale, Solidarité nationale et Development social qui traduisent l’évolution conceptuel sur un même champ.

La confusion entre les politiques sociales, qui elles doivent être permanentes, car elles ont pour but de corriger les inégalités sociales et la promotion de la femme qui doit être transitoire car devant disparaitre lorsque les gaps entre hommes et femmes seront comblées, explique la difficulté de séparation des missions.

En décidant en 2017 d’introduire pour la première fois le concept de genre un pas important a été franchi, car des acquis ont été obtenus, mais en conservant la double appellation de femme et de genre nous sommes en droit de nous demander si nos autorités politiques comprennent les enjeux. Un pays comme le Rwanda s’en tient à l’appellation « Ministre de la promotion du Genre et de la Famille », et cela depuis 2003, date d’élaboration de la politique nationale genre du pays (document qui porte la signature de l’expertise sénégalaise). Si cela a pu tenir dans la durée c’est parce qu’une politique soutenue par une vision a été élaborée, contrairement au Sénégal où le document de stratégie (SEEG) n’est pas sous tendue par une politique bien définie

Enjeux du genre

Le concept d’Intégration des Femmes au Développement (IFD), vulgarisé après la première conférence mondiale sur la femme de 1975, s’est intéressé uniquement à la prise en compte de besoins pratiques des femmes : santé, éducation, accès au crédit, activités génératrices de revenus, accès aux équipements etc. Sur ce plan, le Sénégal a beaucoup investi, il s’est très top intéressé à la promotion de la femme depuis la création entre 1959 et 1960, du premier centre d’animation de base de Thilogne dans la région de Saint-Louis.

L’approche IFD n’a pas fondamentalement changé la situation de la femme et du pays, car on ne peut pas changer la condition des femmes sans la mettre en interrelation avec celle des hommes. C’est le concept de genre, vulgarisé après la conférence de Beijing en 1995 qui permet de le faire. C’est pourquoi l’IFD a fait place au GED (Genre et Development) depuis plus d’une vingtaine d’année.

Avec le concept de genre, les questions posées sont d’ordre stratégique. Il permet de s’inscrire dans la dynamique de prise en compte à la fois des préoccupations et des femmes et des hommes et de garantir la présence équitable de chaque catégorie dans les sphères de décision politiques et économiques. Il permet de résorber les inégalités au profit de la catégorie la plus défavorisée en le fondant sur des données vérifiables.

Les gaps entre hommes et femmes

Au Sénégal, les femmes ne sont pas significatives à la tête des partis politique, leur participation au Gouvernement évolue en dent de scie, avec aujourd’hui 20%. Elles sont 24,5% dans la Fonction publique et environ 12% dans les hautes fonctions de l’Etat.

Au plan économique, seules 6,4% sont dirigeantes d’unités industrielles contre 93,6% pour les hommes. Le rapport de l’enquête nationale de la Direction des Petites et Moyennes Entreprises, en octobre 2013, révèle que la majorité des propriétaires des PME est constituée d’hommes soit 81,1% contre 18,9% de femmes. Pourtant depuis 200 il existe des départements ministériels en charge de l’entreprenariat féminin (cela devrait nous interpeler sur l’efficacité de ce mécanisme). Les hommes contrôlent 93,6% des superficies cultivées, contre 6,4% pour les femmes. Dans le secteur de l’élevage, les femmes ne représentent que 10.70% des demandes de financement de projet enregistrés par le FONSTAB en 2015.

Si aujourd’hui le gap est globalement en défaveur des femmes, demain il pourrait l’être en défaveur des hommes. C’est pourquoi, il doit y avoir des programmes qui ciblent des femmes comme des programmes qui ciblent les hommes.

Au-delà du genre, la question de la famille

Au-delà de la problématique du genre, il se pose un problème de fond : celui des priorités. Aujourd’hui c’est la famille qui doit être appréhendée comme la priorité nationale. Nous devons être inquiets pour notre avenir car la famille, premier espace de production du citoyen est en danger. Les statistiques de l’ANSDS depuis 2010 montrent que plus de 40% des enfants ne vivent pas avec leurs deux parents. Comment pourraient t-ils rendre à des parents vieillissant une affection qu’ils n’ont pas reçue ? En 2011, selon les données de l’éducation surveillée, 47% des enfants en danger moral étaient des filles, nos prisons dans le futur vont être peuplées de filles, pas pour infanticide et prostitution, mais pour vol drogue et grand banditisme. Comment alors dans de telles conditions construire le citoyen de demain ?

Il s’agit donc d’utiliser la famille comme le pilier de la politique sociale.

Il est alors urgent de trouver les formules d’adaptation pour que la famille continue à assurer son rôle d’éducation sociale et spirituelle, de formation et de préservation de nos valeurs. Elle est le premier espace de production du citoyen, l’échec de cette institution entraînera l’échec de la société dans sa totalité. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut concevoir la famille comme une question politique, c’est à dire en relation avec la réalisation du projet démocratique.

Conclusions

Aimé Césaire dans « Discours sur le colonialisme » de 1955 dit ceci : « Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente. Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte. Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ».

Nous n’avons pas le droit de fermer les yeux sur le mal qui ronde notre société. Nous avons l’obligation, face à l’histoire de travailler à la refondation de la famille sénégalaise. C’est au sein de la famille que l’on retrouve, la femme, la personne âgée, le délinquant, le malade mental, la personne handicapée.
La seule politique qui vaille aujourd’hui, c’est celle qui pourra donner à la famille les moyens de pendre en charge ses membres. Là est la solution, l’unique solution.

Fatou Sow SARR, sociologue

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