Grand reportage : Sénégal, les routes de la mort
Tous les canaux d’informations au Sénégal, nous informent quotidiennement des accidents mortels survenus sur les routes du pays. Pas un jour sans que les médias locaux ne fassent état de personnes dont la vie est atrocement abrégée sur les routes du pays. Face à l’ampleur des accidents, les autorités gouvernementales en charge de la politique des transports semblent démunies, incapables d’endiguer ces accidents mortels qui sont devenus quasi journalier. ReseauNews vous plonge au cœur de cette tragédie humaine.
Ousmane Sylla est un rescapé. Le trentenaire, essoufflé par l’effort déployé pour nous accueillir en milieu banlieue dakaroise, précisément à Pikine Tally Bou Mak, ne trouve l’équilibre que grâce à ses béquilles. Ce coin de Dakar grouillant de monde, est symptomatique du chômage qui règne au pays. Accueilli avec un verre de « Ataya », le thé sénégalais servi en guise d’hospitalité, notre présence au milieu de ce groupe a libéré la parole.
Victime d’un accident de circulation sur la route de Dahara, village situé dans le département de Linguère, M. Sylla étale sa peine face aux accidents routiers mortels répétitifs qui anéantissent des vies. Père de famille, « Ouze », comme l’appelle ses amis, nous raconte comment sa vie à basculer sur la route Linguère-Dakar à bord d’un mini-car appelé « 7 places ».
Traumatisé par les séquelles de cet accident qui a fait 5 morts en septembre 2013, il vit mal aujourd’hui son handicap. De cette journée, il n’y a rien oublié. 48 heures avant, il avait fait le chemin inverse pour rallier la localité afin d’assister à une cérémonie religieuse (Diangu). Mais de cet accident, il ne se souvint que de son réveil à l’hôpital Le Dantec.
Des vies brisées à jamais
La voiture qui le transportait est rentrée en collision avec un camion aux environs de Thiès, une ville située à 70 kilomètres de Dakar. « Tous les passagers sont morts », zézaye-t-il à cause des séquelles provoqués par l’accident. Le rescapé est resté presque trois mois à l’hôpital « dans un état grabataire » poursuit-il péniblement sa narration.
À la question y’a t- il un coupable ? Il secoue la tête, avant de lever les yeux et de lancer : « Dieu l’avait voulu ainsi ». Et subitement, il se lance dans un raisonnement cartésien. « Dans ce pays où nous vivons, il n’y a pas de lois. Tout s’y passe sans que personne ne réagit » peste-t-il.
Si certains Sénégalais pointent du doigt l’indiscipline des chauffards, son ami Moussa, tailleur comme lui, l’analyse autrement, en s’interrogeant sur la vétusté des moyens de transports, en sus de la corruption de certains agents de la police en charge de réguler la circulation, et de veiller au respect de la conformité des véhicules sur les routes.
Impuissance de l’État sénégalais
Prenant le relais de son ami Ousmane qui sirote le deuxième verre de thé, il expose les conséquences désastreuses de l’accident qui a réduit son « bro » en handicapé. « Il a tout perdu. Son travail, sa vie de père de famille et son dynamisme », égrène-t-il mélancoliquement sous le regard de Ouze. Avant de lâcher, « il a tout vendu pour se soigner. »
Le cas d’Ousmane n’est pas un cas isolé. A Mbour dans la petite Côte, une station balnéaire aux encablures de Dakar, nous sommes partis à la rencontre de Seynabou Sène, une mère de famille. Les yeux larmoyant dès qu’on a aborde le sujet après les « salamaleks » d’usage, l’évocation du sujet rappelle à Madame Sène un douloureux souvenir.
Elle a perdu son fils et sa belle-fille dans un accident sur la route de Ndioum en 2015. Très affectée, elle ne peut s’empêcher d’essuyer ses larmes avec les ailes de son grand-boubou sénégalais. Entourée par la famille et des parents face à cette tragédie, elle a du mal à contenir sa colère contre le laxisme des autorités étatiques, qui à ses yeux, « n’ont rien fait pour sauver mes enfants ». En cause, » la lenteur des secours » après l’accident. D’après elle, « c’est comme si tout était fait pour qu’ils meurent », s’emporte-t-elle.
Face à l’ampleur des accidents mortels, l’État du Sénégal semble épuiser toutes ses cartouches pour venir à bout de cette tragédie. Même si le président Sall, dans la continuité de son prédécesseur a construit des infrastructures routières modernes dans le cadre du PSE, il n’en demeure pas moins que la vétusté des moyens de transport et la nébulosité dans la délivrance de permis de conduire pose problème.
Les erreurs humaines indexées
Dans ce pays pauvre qui a libéralisé la vente des véhicules importé sans grand contrôle, ces voitures venues d’Europe et d’Amérique font partie du décor des rues de Dakar. Selon un officiel du service des mines, on a « beau légiférer en la matière, mais le mal est beaucoup plus profond. Tout le monde est responsable. Nous qui délivrons les permis, la brigade prévôtale, les Sénégalais… C’est une question de discipline et de civisme », lâche t- il.
Et les statistiques montrent que ce fléau gagne du terrain. Quatre cents (400) décès pour l’année 2013, 433 morts pour l’année 2014. Le rapport 2016 de la Gendarmerie nationale note une augmentation des accidents de la circulation avec « 503 personnes tuées et 5 653 blessés à l’occasion d’accidents impliquant 844 véhicules légers, 405 véhicules poids lourds, 516 véhicules de transport en commun, 212 véhicules à deux roues et hippomobiles et 242 piétons ».
Le diagnostic sur les principales causes d’accidents est sans appel. Car elles sont du fait de l’imprudence du conducteur à 45 %, des piétons 15 %, du non-respect des règles 14 %, d’un défaut de maîtrise 21 % et de défectuosité matérielle 3 %.
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