Affaire Bolloré: comment Faure Gnassingbé s’est fait piégé par Sarkozy

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Le 29 avril 2018, l’homme d’affaires breton et milliardaire français Vincent Bolloré signait une tribune très remarquée dans le Journal du Dimanche (JDD) où il s’interrogeait en ces termes : « Faut-il abandonner l’Afrique ? ». Un questionnement qui faisait suite à sa garde à vue (ô sacrilège !), suivie d’une mise en examen par la justice française. Les juges français Aude Buresi et Serge Tournaire du pôle financier de Nanterre lui reprochent des faits de « corruption d’agents publics étrangers », « complicité d’abus de confiance » et « faux et usage de faux ». En langage simple, Vincent Bolloré, douzième fortune de France, est accusé par la justice d’avoir sous-facturé les campagnes électorales des présidents togolais et guinéen afin de bénéficier de juteux contrats portuaires. Ce billet vise à répondre aux propos colonialistes du milliardaire français et surtout contribuer à mieux contextualiser l’idée qu’il se fait de l’Afrique et des Africains…
Poncifs colonialistes et occultations à souhait : Vincent « l’Africain » fait du Bolloré !
Difficile exercice intellectuel que celui d’un capitaine d’industrie ivre de milliards, arrogant jusqu’à la caricature et supportant à peine le toupet des juges français, ces « petits juges », qui cherchent à comprendre l’envers sombre de son empire africain. À défaut d’un sincère mea culpa sur sa « méthode commando » faite de violences, d’illégalités et de connivences, un classique en françafrique !, la tribune de Vincent Bolloré restera surtout une séquence d’hypocrisie, de condescendance et de poncifs colonialistes à l’égard des Africains. Parfois, les faits sont soigneusement segmentés, occultés et présentés sous le registre de la « philanthropie » à l’égard de l’Afrique qualifiée de « continent d’avenir » riche bientôt de « 2 milliards d’habitants » en 2050. Ainsi, le groupe familial qui sera bicentenaire en 2022 (sa
création remonte à 1822 à Ergué-Gabéric en Bretagne) dit avoir consacré à l’Afrique sur plusieurs décennies « 4 milliards d’euros » d’investissements alors que ce chiffre est totalement contesté par Jeune Afrique (avril 2018), qui avance plutôt un montant compris entre 1,5 à 2 milliards d’euros. De plus, Vincent Bolloré occulte volontairement de mentionner les profits mirobolants qu’il retire de ses activités africaines. En réalité, l’Afrique est la véritable machine à cash du groupe qui investit à peine dans ses concessions portuaires connues pour opérer avec des grues usagées et souvent en panne. Les exemples des terminaux à conteneurs des ports de Douala et Libreville pratiquant des tarifs abusifs, ruineux pour des prestations médiocres (longs délais d’attente, avaries, monopoles, non-respect du cahier des charges…) sont très illustratifs de cette logique prédatrice en Afrique.
Par ailleurs, une étude de la BNP-Paribas menée voilà 5 ans déjà, nous apprend que le groupe Bolloré réalise 20% de son chiffre d’affaires en Afrique mais y dégage surtout plus de 80% de ses bénéfices. Tenez, en 2017, le groupe Bolloré a réalisé un chiffre d’affaires global de 18,3 milliards d’euros (intégration de Vivendi depuis avril 2017 dans les comptes) dont 5,76 milliards d’euros rien que pour la branche Logistique et Transport, largement tributaire de ses concessions africaines, pour un bénéfice net de plus de 699 millions d’euros, (Challenges, 22 mars 2018). C’est aussi en Afrique que Canal +, « la télé Bolloré » a réalisé un chiffre d’affaires de 511 millions d’euros en 2017 contre 450 millions d’euros, l’année précédente, passant ainsi de 2,8 millions d’abonnés fin décembre 2016 à près de 3,5 millions d’abonnés un an plus tard (Agence Ecofin, février 2018). C’est donc l’Afrique et les Africains qui enrichissent grassement Vincent Bolloré.
Plus loin, « Vincent l’Africain » affirme : « 30 000 familles vivent du travail de nos entreprises ». Rien que ça ! Mais dans quelles conditions travaillent ces familles sommées de signer des clauses scandaleuses de confidentialité ? Les employés camerounais de la Camrail, l’opérateur ferroviaire, végètent dans une misère effroyable, condamnés qu’ils sont à rouler des trains usagés, sans freins, véritables cercueils ambulants sur des rails datant de l’époque de la colonisation allemande dans ce pays !
« On y imagine des chefs d’Etats décidant seuls d’accorder des contrats mirobolants à des financiers peu scrupuleux » poursuit le tycoon français ! Quel incroyable aveu ! Voilà plus d’une décennie que Bolloré obtient des juteuses concessions grâce à des décrets présidentiels. Rappelons que les présidents africains Laurent Gbagbo en 2004 avec le terminal de Vridi 1, Faure Gnassingbé en 2009 au port de Lomé, Alpha Condé au port de Conakry en 2011, Boni Yayi / Issoufou en 2015 (rails Bénin-Niger) lui ont remis en gré à gré, des marchés publics très rentables. Et la liste est loin d’être exhaustive. A propos de la concession du terminal de Vridi 1, Anaky Kobena, ministre ivoirien des Transports au moment des faits, dira en 2004 que la concession offerte au groupe Bolloré est sans aucun doute la « plus grande arnaque financière » du pays (All Africa 2004/05) !
Entre 2007 et 2012, c’est-à-dire durant la présidence Sarkozy, Bolloré va obtenir pas moins de 15 concessions portuaires souvent ponctuées de nombreuses irrégularités administratives et juridiques (Vescovacci, Canet, 2018 : 261). Ce sera la « Sarkafrique des concessions », selon la formule de son ancien business partner, et actuel ennemi juré, Jacques Dupuydaubuy, initiateur de la plainte contre Vincent Bolloré.
« Quand on est ami de la France, on est l’ami des entreprises françaises » lança un jour le président Sarkozy à l’endroit de « Faurevi » (Petit Faure en langue éwé), le rejeton Gnassingbé, lors du sommet UE-Afrique de Lisbonne en décembre 2007. De retour à Lomé, Faure Gnassingbé en mal de légitimité, s’exécuta immédiatement et brada le port pour 35 ans à Bolloré dans des conditions léonines ! En Guinée de Sékou Touré, « le professeur » et
non moins ex opposant historique, Alpha Condé, dont la proximité avec « l’ami Vincent » est sue de tous, a choisi de concéder par décret présidentiel le port de Conakry à son généreux bienfaiteur à qui il doit très largement sa prise de pouvoir en décembre 2010. Lorsque la presse guinéenne tenta de comprendre le caractère scélérat du marché donné illégalement à Vincent Bolloré, Alpha Condé, jamais avare d’une contradiction, leur rétorqua sèchement : « C’est un ami. Je privilégie les amis. Et alors ? ». Et Dominique Laffont, ancien patron de Bolloré Africa Logistics, toujours au sujet de la rocambolesque affaire du port de Conakry, de renchérir : « En Guinée, on s’est comporté comme des cow-boys ! ». Qui dit mieux ? Vive la françafrique des concessions !
D’autre part, « Loin des clichés d’une Afrique misérabiliste, je vois les buildings, les réseaux informatiques se créer, le souhait d’une vigoureuse jeunesse pour dessiner un futur démocratique et serein. Arrêtons ce traitement inexact et condescendant des Africains » conseille Vincent Bolloré à l’establishment français. Et d’ajouter un brin hypocrite : « Je crois que, dans un avenir proche, la France aura plus besoin de l’Afrique que l’inverse ». Quel cynisme ! Depuis des siècles jusqu’à nos jours, la France vit aux dépens de l’Afrique ! Et Bolloré feint de l’ignorer comme par hasard ! De qui se fout-on ? Sans l’Afrique, l’hexagone serait relégué à une insignifiante province d’Europe ! Le Fcfa, les bases militaires, l’appui diplomatique aux Nations-Unies, la profondeur géostratégique, l’économie (néo)coloniale de traite, les financements occultes des élections en France… sont autant d’avantages comparatifs que l’Afrique apporte à la France et qui lui permettent de peser sur l’échiquier international.
Enfin, de quelle Afrique parle Vincent Bolloré qui y décèle un « futur démocratique et serein » alors que des élections y sont régulièrement truquées et corrompues d’avance avec la bienveillance de l’Elysée ? Au Togo des Gnassingbé, Gabon des Bongo, Sénégal de Macky Sall, Congo de Sassou ou au Bénin de Patrice Talon ? Peut-être, fait-il allusion à la Guinée de son ami Alpha Condé englué dans des scrutins de pacotille ou au Cameroun du vieil autocrate Paul Biya qui règne sans partage sur le pays depuis 1982 ! L’Afrique fantasmée dont parle Vincent Bolloré est celle d’une terra incognita en matière démocratique à défaut d’être une res nullius (territoire sans maitre) au plan des affaires où toutes les fraudes sont permises.
Françafrique des affaires, friches étatiques et misères effroyables : L’impasse mortifère !
La tribune du magnat français dans le JDD reste avant tout un banal exercice suggéré par ses communicants et destiné à rassurer « les marchés financiers », ce monstre sans visage. Lors de sa garde à vue, le cours de l’action Bolloré plonge et perd 5% de sa valeur à la Bourse de Paris ! Et la mise en examen risquait d’accentuer ce trend baissier qui prenait corps et il fallait vite reprendre la main.
Au-delà de la saga judiciaire, les propos du magnat breton sont à replacer dans une perspective internationale marquée par le triomphe d’un capitalisme financier cosmopolite, ivre de son hyperpuissance planétaire. Vincent Bolloré comme tous ces princes de la finance mondialisée perçoivent les Etats africains comme des zones de non-droit économique. Parfois, les règles sont taillées simplement à leur juste mesure par des gouvernants fantoches. L’homme d’affaires et milliardaire étasunien Warren Buffet, illustre à merveille l’hubris, ce sentiment de toute-puissance des firmes transnationales, lorsqu’il déclarait le 25 mai 2005 au micro de CNN, propriété d’un autre milliardaire étasunien Ted Turner : « Il y a une lutte des classes, évidemment, mais c’est ma classe, la classe des riches qui mène la lutte. Et nous sommes en train de gagner». L’hyperpuissance du groupe Bolloré et des autres trusts capitalistes en terre africaine reste la conséquence directe de trois décennies d’affaissement de l’Etat régalien et ses mécanismes de régulation sous le diktat du Fmi, la Banque mondiale et de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC)
. En Afrique, le groupe Bolloré est un pouvoir à lui tout seul c’est-à-dire un Etat dans l’Etat car disposant à lui tout seul d’une enclave privé de logistique, capable de transporter ses propres produits, fonctionnant en réseau intégré, selon ses propres règles de droit et s’affranchissant de celles des Etats dans lesquels il opère. Les ministres qui osent critiquer ses méfaits, sont combattus et violemment éjectés du pouvoir sans autre forme de procès.
Au Cameroun, la Banque mondiale, qui est loin d’être un temple communiste, déplorait le monopole plus que de raison, du groupe Bolloré en pointant une entrave à la compétitivité de l’économie camerounaise (Cfr. rapport n°110907-CM, décembre 2016). Paul Biya qui doit sa longévité au pouvoir (36 ans !), au soutien de l’Elysée et des réseaux mafieux de la françafrique, ferme tout naturellement les yeux sur les agissements de ce cartel financier. Aucun rappel à l’ordre de Bolloré malgré que les autorités l’aient rendu responsable de la tragédie ferroviaire d’Eseka en octobre 2016 qui fit plusieurs centaines de morts !
Cette victoire du « global stateless » (Etat minimal globalisé) selon James Wolfenson, ancien patron de la Banque mondiale a entrainé trois conséquences majeures en Afrique : la dépréciation de la qualité du leadership au sommet de l’Etat, l’hypothèque des Etats africains relégués en « Etats-concessionnaires » pour firmes transnationales et enfin, l’explosion de la misère des populations souvent corvéables à souhait. De plus, grâce à l’appui institutionnel du Fcfa, cette monnaie coloniale extractive par excellence, les multinationales notamment françaises (Bouygues, Bolloré, Eiffage, Orange, Air France, Castel, Total…) rapatrient légalement les milliards spoliés en Afrique (Sylla, 2016 : 167). Souvent par le fait de procédés complexes impliquant les paradis fiscaux, la fraude aux taxes et impôts leste de plusieurs dizaines de milliards de dollars chaque année l’Afrique. Entre 1970 et 2008, plus de 735 milliards de dollars Us sont sortis frauduleusement de l’Afrique (Ndikumana, Boyce, 2013 : 64) !
 En définitive, Il n’est que d’observer les babioles et autres pacotilles que le groupe Bolloré dit construire en Afrique pour se rendre à l’évidence : Bolloré se moque des Africains !
 Au Togo des Gnassingbé, la « Blue-Zone » de Cacaveli est bâtie sur une zone insalubre et le « Canal Olympia » de Hanoukopé, érigé dans une zone marécageuse non assainie, fait « office de salles de cinéma que réalise Vivendi dans des pays qui n’en avaient plus depuis trente ans » selon Vincent Bolloré. Ces deux babioles dénotent d’un profond mépris pour les Africains qui méritent mieux que ces gadgets. Et que dire de la fameuse gare de train construite dans le centre-Lomé qui ne verra jamais le jour mais fut comptabilisée comme « réalisations » au profit des Togolais ! Quelle vaste fumisterie !
Cette feymania ou escroquerie n’est plus acceptable et doit être condamnée ! Les Africains aspirent à être acteurs de leur propre destinée et non spectateurs. Or, la féroce mainmise en Afrique des transnationales comme Bolloré, procède d’une émasculation du génie créatif local totalement méprisé ! J’exhorte les forces vives africaines (jeunesse, sociétés civiles, politiques…) à une véritable insurrection des consciences afin de barrer la route à cette faune de prédateurs sans frontières d’un genre nouveau : les firmes concessionnaires ! Ne soyons pas les spectateurs impuissants d’une recolonisation en marche de l’Afrique ! L’arrogance d’un Bolloré traduit avant tout, le vide stratégique abyssal du leadership africain avec des dirigeants félons, sans projet philosophique majeur, donc sans « utopie », capable d’élever les standards économiques et sociaux des populations. Mobilisons-nous !
« Nan lara, an sara ». [Si on se couche, on est mort.] Joseph Ki-Zerbo.

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