A Athènes, Kastro, l’homme qui rêvait de sauver les réfugiés

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Un an après la signature d’un pacte migratoire entre les Européens et la Turquie, près de 60 000 migrants sont toujours bloqués en Grèce. Dans quelles conditions ? InfoMigrants est allé enquêter. A Athènes, un homme se bat pour offrir un logement décent aux réfugiés : il s’appelle Kastro. Personnage emblématique du quartier populaire d’Exarchia, il a ouvert 5 squats pour migrants dans la capitale grecque.

Son nom est écrit sur les murs du quartier populaire d’Exarchia, à Athènes, en lettres noires au milieu de milliers de graffitis : Kastro. Personnage singulier, presqu’une caricature de lui-même : barbe blanche, peau mate, cheveux longs attachés en arrière, on se croirait face à un gourou indien. L’homme de son vrai nom, Soleimane Dakdouk, originaire de Syrie, se fait appeler « Kastro » : un pseudonyme à la hauteur de sa mégalomanie ? « Non, c’était le surnom qu’on m’avait donné enfant, c’est tout », répond-t-il en souriant.

Dans le bureau où il nous reçoit, au premier étage d’un collège abandonné reconverti en abri pour migrants, Kastro, arrivé en Grèce en 1987, est sans cesse sollicité. Sa porte ne reste jamais close plus de 5 minutes : « Désolé, c’est dans quelle salle l’activité pour les enfants ? », demande l’un, en passant la tête. « On prévoit quoi pour le repas aujourd’hui ? Et je crois qu’on a un problème avec l’électricité dans une des chambres », demande un autre, en insistant pour que Kastro aille voir.

L’école réquisitionnée par Kastro, à Athènes. Crédit : Charlotte Boitiaux

« La municipalité a dit ‘non’, nous avons occupé le bâtiment quand même »

Le quotidien de Soleimane Dakdouk ressemble à ça : à un déferlement de questions sur l’accueil, l’intendance et le confort des réfugiés dont il s’occupe. Il faut dire que Kastro prend soin de 800 personnes, réparties dans cinq squats à Athènes : cinq abris pour réfugiés qu’il a ouverts en 2016, après l’accord entre Ankara et l’Union européenne. « Deux des bâtiments que nous occupons sont privés, trois sont publics », explique-t-il. « La première fois, j’ai demandé la permission à la municipalité pour occuper une école abandonnée, celle où nous sommes, elle a dit : ‘non’. Nous sommes venus quand même », continue-t-il, en riant.

Les différents étages de l’école abandonnée servent de chambres pour les réfugiés. Crédit : Charlotte Boitiaux

Les cinq abris gérés par Kastro sont situés à Exarchia, un quartier de la capitale grecque très marqué à gauche et qui a pris la tête de la contestation pour l’ouverture des frontières et la libre-circulation des réfugiés. En dehors de ces cinq lieux d’hébergement, Exarchia compte encore une dizaine d’autres squats, gérés par des militants anarchistes le plus souvent. Le plus emblématique de tous, le City Plaza Hotel, héberge à lui seul près de 400 personnes.

 

Un des autres squats du quartier d’Exarchia, à Athènes. Crédit : Charlotte Boitiaux

« Personnage incontournable »

Aujourd’hui, la dévotion de Kastro à la cause des réfugiés et des migrants a fait sa réputation. « C’est vrai que tout le monde le connaît ici », reconnaît un militant d’extrême-gauche, croisé dans l’une des artères principales du quartier, rue Tsamadou. « C’est un personnage singulier et incontournable ici. Son nom circule toujours quand on parle d’actions à mener dans le quartier ».

Kastro, modeste, refuse cette étiquette de célébrité. « C’était le chaos à l’époque, il y avait des migrants partout, dans les parcs, sous les ponts, dans la rue. Ils étaient bloqués là, en Grèce, sans possibilité de continuer leur chemin. Il a fallu faire quelque chose », continue-t-il, un cigarillo à la bouche et un verre de maté dans la main. « Alors, j’ai fait quelque chose ».

L’une des nombreuses peintures réalisées par Kastro. Crédit : Charlotte Boitiaux

« Une école, c’est bien, c’est souvent là que se réfugient les gens »

Tout a commencé en 2015, quand Kastro prend conscience de l’ampleur de la crise en se rendant sur l’île de Lesbos, à 250 km de la capitale grecque. « Il y a avait plus de 12 000 personnes dans les rues. Les camps étaient saturés. Les gens dormaient n’importe où ». En revenant sur le continent, Kastro s’active pour trouver des solutions d’hébergement. « Les choses ne faisaient qu’empirer avec le temps. La frontière avec la Macédoine [qui ouvrait la route des Balkans] a été fermée. Les gens continuaient d’arriver et étaient coincés ».

A l’époque, Kastro, qui n’a encore aucune solution d’hébergement dans la capitale, demande l’aide de Nosotros, une structure anarchiste dont le quartier général est à Exarchia. Ses militants acceptent d’en héberger un grand nombre. « Mais il y a eu un flot continu de migrants ! Il a fallu trouver d’autres solutions ». Après plusieurs jours de recherche, Kastro découvre que de nombreux bâtiments d’Athènes sont abandonnés. « On a repéré une école fermée depuis 3 ans. On s’est dit : une école, c’est bien, c’est souvent là que les gens se réfugient pendant la guerre ».

Dans le quartier d’Exarchia, de nombreuses affiches et banderoles d’extrême-gauche. Crédit : Charlotte Boitiaux

En quelques mois, cinq bâtiments sont donc réquisitionnés par Kastro et son équipe. « On s’est débrouillé pour raccorder l’eau, l’électricité. On a réparé les toilettes, apporté des fournitures ». La municipalité, dépassée par la crise, n’a pas osé déloger les migrants, explique-t-il. « Encore aujourd’hui, la police passe de temps en temps, pour montrer qu’elle est là, mais elle n’entre pas dans les squats ». Au plus fort de la crise, Kastro a hébergé jusqu’à 1 800 personnes. Il dit visiter chaque semaine les cinq squats qu’il co-dirige avec une petite équipe de volontaires grecs « tous de différents courants de gauche, pour ne pas être trop marqué politiquement. »

 

« Grève de la faim »

D’où vient l’engagement de ce Syrien, arrivé en Grèce dans les années 1990 ? Sans doute de son militantisme, qu’il a chevillé au corps. En 1987, à la faveur d’un échange universitaire, Kastro, alors jeune militant communiste, fuit le régime d’Hafez al-Assad. En arrivant à Athènes, Kastro sait qu’il ne retournera jamais dans son pays natal. Mais il n’en oublie pas moins ses convictions. S’il s’inscrit aux Beaux-Arts – études qui le passionnent -, le jeune étudiant continue son combat politique. En 2003, lors du sommet européen de Thessalonique, il fait partie des 7 activistes altermondialistes arrêtés par les autorités. « Nous avons été condamnés à six mois de prison. Nous nous étions mis en grève de la faim. C’est pour ça que mon nom est inscrit sur les murs du quartier », précise Kastro. « J’ai été un peu célèbre à ce moment-là, c’est tout ».

Dans les couloirs de l’école réquisitionnée par Kastro. Crédit : Charlotte Boitiaux

Restaurateur de bâtiment, peintre à ses heures perdues, Kastro se présente volontiers comme un artiste. « J’avais une galerie d’art. Mais parfois, je peignais aussi dans la rue pour gagner de l’argent », explique-t-il en nous montrant ses peintures qui décorent son bureau. Il dit aussi avoir été le premier immigré à se syndiquer en Grèce. « La question n’est pas de savoir pourquoi je m’investis autant dans mes combats politiques, mais de savoir pourquoi d’autres ne le font pas ».

Avec une personnalité aussi forte, Kastro ne s’est pas fait que des amis. À Exarchia, les relations entre le Syrien et les autres groupes d’extrême-gauche sont assez sensibles. « J’ai des problèmes avec certains d’entre eux, mais surtout au niveau politique », explique-t-il sans entrer dans les détails. « Peut-être qu’on ne m’apprécie pas parce que je ne suis affilié à aucun parti ici », conclut-il. « Mais le plus important, ce ne sont pas nos différends, mais que nous nous entendions suffisamment bien pour mener le combat pour les réfugiés. Le plus important, c’est que nous soyons unis pour nous battre pour eux ».

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