Violences faites aux femmes : le Sénégal bat des records
Elle a à peine 18 ans et subit déjà les foudres de son mari violent. «L’affaire Ndeye Coumba Diop» a suscité une vague d’indignation au Sénégal fin juillet 2018. Les photos de la jeune femme ensanglantée postées sur les réseaux sociaux sont venues rappeler le calvaire que vivent des milliers de Sénégalaises, dans le silence et l’anonymat. Géopolis fait le point avec deux sociologues sénégalais.
C’est un déferlement d’atrocités au quotidien que décrit le sénégalais Pierre Sané, président d’Imagine Africa Institute et éditorialiste de Seneplus. Il dénonce le calvaire des femmes sénégalaises «battues, niées, tuées, violées, mutilées, harcelées…» par les hommes.
«Etouffées dans le carcan familial ou villageois»
Dans un appel adressé aux hommes de ce pays de l’Afrique de l’Ouest en janvier 2018, Pierre Sané, ancien secrétaire général d’Amnesty International, pointe de nombreuses agressions et brutalités subies par les femmes. Des violences qui, malheureusement, sont passées sous silence : «étouffées dans le carcan familial ou villageois».
C’est ce qui a failli arriver, fin juillet 2018, à Ndeye Coumba Diop. Une jeune Sénégalaise de 18 ans, violentée par son mari et chassée de la maison en pleine nuit, le corps en sang. La vidéo de son calvaire postée sur les réseaux sociaux a suscité une vive émotion au Sénégal.
Sous la pression de sa famille, la victime a été obligée de retirer la plainte déposée contre son mari pour coups et blessures. Une pratique courante qui n’a pas surpris le sociologue sénégalais Mamadou Wane.
«Il y a une tendance très lourde dans la société sénégalaise à faire des médiations et à privilégier des mécanismes de réconciliation et de gestion des conflits au sein des ménages. Il ne s’agit pas d’une volonté délibérée d’étouffer ces violences contre les femmes», explique-t-il à Géopolis.
«Une prison discrète faite d’inquiétude»
L’ancien activiste des droits de l’homme Pierre Sané tire la sonnette d’alarme. Beaucoup de Sénégalaises vivent dans «une prison discrète, voire invisible, faite de harcèlements, d’étouffements et d’inquiétude». C’est comme si cette violence quotidienne était sournoisement admise par notre culture, observe-t-il.
Un constat inquiétant dans une société globalement patriarcale dans laquelle l’homme dispose souvent de plusieurs épouses. La polygamie contribue-t-elle à banaliser les violences faites aux femmes au Sénégal ?
Le sociologue sénégalais Mamadou Moustapha Wone explique à Géopolis que la violence polygamique est beaucoup plus une violence entre femmes jalouses qui se battent entre-elles, qui se maraboutent pour avoir les faveurs de l’homme. Mais il reconnaît que cette pratique, parfaitement légale dans le pays, donne lieu parfois à des abus.
«Certains en abusent croyant qu’il s’agit d’un droit que la société et la religion leur a donné. Et ils pensent que les hommes peuvent épouser autant (de femmes) qu’ils veulent et qu’ils peuvent les répudier et les violenter à leur guise.»
«Le linge sale se lave en famille»
Mamadou Mustapha Wone observe qu’au Sénégal comme dans la plupart des sociétés africaines, les couples ne se forment pas sur des histoires d’amour. Il s’agit le plus souvent de mariages arrangés.
«Il faut se mettre à l’évidence que tout ce qui se passera ensuite, ça va être arrangé également. Et ça va être arrangé par les autres. C’est-à-dire par la famille et par la communauté. Comme on le dit souvent ici, le linge sale se lave en famille. Il ne faut pas que ça sorte. Que ça s’ébruite. C’est à nous de régler le problème. Pas devant les tribunaux», analyse-t-il.
Les femmes sénégalaises sont-elles condamnées à souffrir dans le silence et dans l’anonymat ? Le sociologue sénégalais Mamadou Wane compte sur l’activisme des organisations de la société civile, sur les leaders politiques et tous les intellectuels sénégalais pour changer la donne.
«Quand vous voyez l’émotion collective que cette affaire de la femme violentée a suscité dans le pays. Et que vous constatez qu’elle a donné lieu à un procès et à une condamnation malgré la pression de la famille. On peut en déduire que c’est le début de quelque chose. Un signal fort contre le règne de l’impunité», espère-t-il.
Un optimisme que ne partage pas totalement son collègue Moustapha Wone. Il fait remarquer que les quelques ONG engagées dans la lutte contre les violences faites aux femmes ne mobilisent pas au-delà de ceux qui en ont fait leur gagne-pain.
«Ces ONG sont tournées vers le modernisme et l’Occident alors que la population fonctionne sur la base de ses propres mentalités. Je pense qu’il faut éviter de la brutaliser», estime-t-il.
Mamadou Mustapha Wone conseille d’y aller doucement pour faire évoluer cette mentalité de l’intérieur. Sinon vous risquez de braquer la population, prévient-il.
Martin Mateso