Niger: comment le général Tiani veut sauver son économie du naufrage
Un an après avoir été arrêté par le général Abdourahamane Tiani, aujourd’hui à la tête du pays, Mohamed Bazoum, l’ex-président déchu, est toujours détenu dans l’enceinte du palais présidentiel. Le 14 juin, la Cour de justice créée par la junte pour remplacer la Cour d’État de Niamey, l’a en plus privé de son immunité, ouvrant la voie à un possible procès devant un tribunal militaire. Pas de quoi émouvoir les institutions internationales. L’heure n’est plus à l’indignation, mais à la realpolitik.
Le signal avait été donné dès le mois de février 2024 quand les États membres de la Cedeao ont pris la décision de lever les sanctions économiques (fermeture des frontières, gel des avoirs, des transactions avec les autres pays de la Cedeao) adoptées après la prise de pouvoir des militaires, désormais réunis au sein du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP).
Un bol d’oxygène pour les finances
« La situation politique est dans l’impasse, rien ne sert de pénaliser plus longtemps les populations », plaidait alors un diplomate d’un pays voisin.
Après avoir suspendu pendant plusieurs mois leur action, le FMI et la Banque mondiale sont désormais sur la même ligne. Les institutions de Bretton-Woods ont repris leurs échanges avec le gouvernement dirigé par le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Zeine. La Banque mondiale a notamment approuvé fin juin un très important programme de soutien de 1 milliard de dollars sur 12 ans aux secteurs de l’agriculture et de l’élevage.
Un mois avant, le fonds avait envoyé pendant une dizaine de jours une équipe dirigée par Antonio David à Niamey pour prendre le pouls de l’économie nigérienne et effectuer la revue des programmes en cours au moment du putsch. À l’issue de la mission, la reprise de la coopération est actée. Et le 18 juillet, sans surprise, le conseil d’administration du FMI a annoncé le décaissement immédiat d’un appui d’environ 71 millions de dollars pour renforcer la stabilité macro-économique du pays et l’aider à financer sa transition écologique.
Un bol d’oxygène bien venu pour Niamey. Quelques jours auparavant, le Premier ministre reconnaissait dans un discours télévisé que l’équilibre budgétaire du pays avait été mis à rude épreuve.
Des investissements divisés par deux
« Nous avons, comme vous le savez, consacré plus de 8 mois, voire 9, 10, pour convaincre les partenaires qui ont décidé de suspendre leur coopération à reprendre, afin que les ressources qu’ils assurent puissent permettre de faire des investissements », a-t-il expliqué. L’an dernier, le gouvernement a divisé ses investissements par deux par rapport à 2022 en même temps que ses recettes ont fortement chuté.
Dans les mois qui ont suivi le coup d’État, le gouvernement a en effet cumulé les dettes vis-à-vis de ses créanciers nationaux et internationaux. Dans son intervention, Ali Mahamane Lamine Zeine, a d’ailleurs reconnu que les autorités avaient dû se tourner vers ses partenaires chinois pour se financer. En avril, elles ont obtenu de Pékin 400 millions de dollars prévus pour être remboursés sur douze mois grâce aux recettes de la future production pétrolière du pays. De l’argent frais qui a servi à payer des arriérés de plusieurs dizaines de millions de dollars à la Banque mondiale, un apurement de la dette du pays indispensable à la reprise des programmes de l’institution, mais également du FMI.
Les ménages nigériens ont, eux aussi, dû faire preuve de résistance. Dans les mois qui ont suivi le coup d’État, les prix de certaines denrées comme le riz ont augmenté de près de plus de 30 % dans certaines régions. Mais là encore, les importateurs ont réagi en trouvant de nouvelles routes pour alimenter les marchés, via le Burkina Faso ou le Nigeria en contournant les points de contrôle. Les statistiques du FMI montrent d’ailleurs qu’à partir du mois d’octobre, les prix du panier moyen sont redescendus pour ensuite progresser plus lentement pendant plusieurs mois, même si les chiffres du mois d’avril font état d’une hausse plus brutale.
Niger, scène de rue à Niamey, juillet 2024. AP – Omar Hama
Négocier une sortie de crise
« L’économie nigérienne, si elle n’est pas au beau fixe, a su faire preuve de résilience. La banque africaine de développement table même sur une croissance de 11% pour 2024 grâce aux revenus pétroliers », se félicite d’ailleurs Yacouba Dan Maradi, président du syndicat des importateurs et exportateurs du Niger (Sien).
Cet optimisme, partagé par le FMI, reste néanmoins conditionné à la reprise des exportations du brut en provenance du gisement d’Agadem. Face au refus de la junte nigérienne d’ouvrir la frontière après la levée des sanctions de la Cedeao, le pouvoir béninois a arrêté début juin cinq Nigériens venus assister dans l’enceinte du port de Sèmè-Kpodji au chargement d’une cargaison de pétrole acheminé depuis le Niger via le pipeline construit par la China National Petroleum Corporation (CNPC). En retour, le Niger a coupé les vannes, interrompant ses livraisons. Plus d’un mois après cet incident, tous les Nigériens ont été relâchés, mais sur le fond, c’est le statu quo. Le 24 juillet, une délégation ministérielle en provenance de Niamey s’est finalement rendue à Cotonou pour rétablir le dialogue. Plusieurs dossiers ont été évoqués : les difficultés d’approvisionnement du Niger en médicaments, le blocage d’engins militaires au port de Cotonou, la reprise des exportations pétrolières et les soupçons de la junte quant à la présence d’une base militaire française dans le nord du Bénin. À l’heure où nous écrivons ces lignes, les représentants nigériens se disaient satisfaits des échanges avec leurs homologues béninois, mais aucun détail n’avait été communiqué sur les modalités d’une sortie de crise. Pénalisé par ce blocage et inquiet de la recrudescence des attaques terroristes sur ses installations, China National Petroleum Corp, qui exploite le gisement, a suspendu ses activités le 21 juillet.
Ce bras de fer illustre plus largement la rupture opérée avec la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Prenant acte des sanctions de la Cedeao, le 16 septembre 2023, le Niger a créé avec le Burkina Faso et le Mali, où des transitions militaires sont également en cours, l’Alliance des États du Sahel. Et fin janvier, ces trois pays ont signifié qu’ils entendaient sans délai sortir de l’institution régionale et à terme se doter d’une monnaie pour remplacer le franc CFA.
Des bouleversements politiques qui ont pesé fortement sur les entreprises. L’an dernier, les prêts accordés au secteur privé ont ainsi reculé de -6,5 % selon le FMI.
Téhéran, Moscou et Ankara
Comme un nouveau pied de nez aux chefs d’État ouest-africains, à la veille du sommet de la Cedeao du 7 juillet, les dirigeants du Niger, du Burkina Faso et du Mali ont franchi une autre étape en annonçant la création de la confédération « Alliance des États du Sahel », avec pour objectif d’intensifier leur coopération notamment dans le domaine économique. Un renforcement des échanges dont la valeur reste à démontrer, notamment dans le secteur industriel où les productions des trois pays demeurent très limitées.
Lors de la cérémonie du premier sommet des chefs d’État de l’AES, le 6 juillet 2024 à Niamey. © YouTube / RTN (capture d’écran)
En parallèle, Niamey s’est évertué ces derniers mois à trouver d’autres partenaires pour remplacer les pays occidentaux. Outre la France avec laquelle la junte a rompu très rapidement, les putschistes ont demandé le départ des soldats américains et poussé l’Allemagne à annoncer la fin de sa coopération militaire avec le Niger. Ces deux contingents devraient avoir totalement quitté le pays fin août. « Dans ce contexte, l’Union européenne a aussi stoppé sa coopération. Au sein de l’UE, seules l’Italie et l’Espagne continuent de travailler directement avec les autorités. Pour Madrid et Rome, les enjeux migratoires sont tels qu’il faut à tout prix éviter un effondrement de l’Etat nigérien, quitte à fâcher Paris en jouant solo », décrypte un observateur français
Ali Mahamane Lamine Zeine a lui enchaîné les tournées pour visiter les pays susceptibles de lui apporter de l’aide. En janvier, le Premier ministre nigérien a ainsi passé trois jours à Téhéran, puis s’est rendu à Moscou et dans la foulée en Turquie.
Des permis miniers annulés
Les relations avec Istanbul ne sont pas nouvelles, mais il semble qu’elles sont appelées à s’intensifier. Le 16 juillet, le ministre des Affaires étrangères était à Niamey avec une importante délégation comportant au moins un représentant de l’industrie de la défense et un responsable des services de renseignement. À cette occasion, les deux pays ont signé un contrat facilitant l’accès des entreprises turques aux ressources naturelles du Niger. L’accord intervient au moment où la junte revisite ses contrats miniers, dont elle attend davantage. En juin, elle a retiré au Français Orano et au Canadien GoviEx deux permis portant sur des gisements d’uranium non encore exploités. Selon Bloomberg, la diplomatie turque aurait fait part de son intérêt. L’agence américaine avait aussi fait état de discussions entre Niamey et l’entreprise russe spécialiste du nucléaire Rosatom sur ce sujet.
« Actuellement, le plus important pour le Niger, c’est de recevoir de l’aide pour sécuriser son territoire. L’économie passe au second plan. La Russie, la Turquie ou l’Iran ne pourront pas lui offrir le soutien financier (dons et prêts) qu’apportait la France jusqu’à l’an dernier. On parle quand même d’environ 100 millions d’euros par an », indique une source occidentale. La Chine reste bien sûr aussi un partenaire central dans la configuration actuelle. C’est par exemple vers Pékin que Niamey pourrait se tourner pour financer la construction d’une raffinerie de pétrole et d’un complexe pétrochimique à Dosso ou encore le pipeline avec lequel le pays veut transporter son pétrole vers le Tchad et ainsi ne plus être dépendant de ses relations avec Cotonou. Ndjamena a déjà fait preuve de son intérêt. La ministre du Pétrole tchadien était à Niamey du 10 au 13 juillet pour formaliser la reprise des discussions sur ce projet avec son homologue nigérien Mahaman Moustapha Barké.