Au Sénégal, le renforcement du contrôle fiscal par les services compétents de l’Etat soulève beaucoup de critiques et de questions. Mais ce tour de vis pourrait en partie être lié à l’intensification des pratiques illégales de la part de personnes et groupes présumés délinquants et agissant contre sur le dos des intérêts de la puissance publique. Ainsi, 554 cas de fraude (+17 % par rapport à 2023), 66 entorses à la réglementation des changes (+100 %) et 73 cas d’infractions fiscales pénales (+78 %) ont été répertoriés comme signalements par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif) dans son rapport pour l’année 2024.
En ce qui concerne la corruption, les déclarations d’opérations suspectes (Dos) sont en hausse de 5 % alors que d’autres infractions comme la contrebande (-67 %) et le faux et l’usage de faux (-24 %) sont en baisse, rapporte le document.
C’est sur la base des enquêtes menées par ses services à partir des éléments bruts que sont les Dos que la Centif indique avoir transmis au procureur de la République 46 documents (contre 43 pour l’année 2023) porteurs d’« indices graves et concordants de blanchiment de capitaux ou de financement de terrorisme. » Les documents estampillés « poursuite d’investigations » sont au nombre de 9 contre 25 l’année précédente. Les dossiers dits de « dissémination », au nombre de 26 (contre 43 en 2023) , indiquent que des « informations obtenues et traitées » ont été partagées avec des administrations et des autorités de contrôle/supervision susceptibles d’être intéressées par les contenus.
Dossiers de blanchiment de capitaux et financement du terrorisme sur le bureau du procureur
Pour la Centif, ces statistiques témoignent du renforcement du contrôle et de la surveillance que l’Etat exerce sur les différents secteurs de l’activité économique afin de prévenir, notamment, « les risques de détournement des fonds publics et d’enrichissement illicite ». Ces chiffres sont le fruit des campagnes de sensibilisation menées depuis plusieurs années auprès des personnes et entités assujetties aux déclarations fiscales, d’une « meilleure identification des transactions suspectes » et un suivi plus accentué des flux financiers transfrontaliers, en particulier pour la sous-région ouest-africaine, indique le rapport.
« Ces avancées stratégiques combinées à la montée en puissance de l’outil informatique de la CENTIF ont eu un impact positif sur l’activité opérationnelle de la Cellule, au cours de l’année 2024 comme en attestent les tendances haussières enregistrées sur l’ensemble des données statistiques », écrit dans l’avant-propos du rapport 2024 Cheikh Mouhamadou Bamba Siby, président de la Centif.
La fraude (59,70 %), la corruption (14,87 %), les infractions fiscales pénales (7,87 %) et les infractions à la réglementation des changes (7,11 %) constituent le quatuor de tête des infractions sous-jacentes les plus répandues dans les déclarations d’opérations suspectes pour l’exercice 2024.
Les principales entités auteures des déclarations d’opérations suspectes sont les banques et établissements financiers pour 82,87 % (769 Dos), les systèmes financiers décentralisés (SFD) à hauteur de 6,36 % (59 Dos) et les émetteurs de monnaie électronique pour 4,74 % (44 Dos).
Depuis la loi 2024-08 du 14 février 2024, les institutions financières établies au Sénégal – dont les banques, les bureaux de change et les sociétés de gestion et d’intermédiation (SGI) en bourse – sont dans l’obligation de rapporter systématiquement aux autorités compétentes toutes opérations de retrait et de versements en espèces supérieures ou égales à 15 millions de francs CFA. Cette mesure découle de l’article 72 de ladite loi relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération d’armes de destruction massive (LBC/FT/FP) et de « l’instruction 10-09-2017 du 25 septembre 2017 émise par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao).
Pour la période de revue de son rapport 2024, la Centif informe que les déclarations d’opérations suspectes relatives au financement du terrorisme sont au nombre de 24.
Des maillons faibles dans la chaine de dénonciation
Pour remplir sa mission, la Centif avoir « mis en place un module de chargement paramétré selon un format prédéfini qui permet aux assujettis de s’acquitter plus aisément de leur obligation de déclaration des transactions en espèces. Il peut s’agir d’une opération unique ou de plusieurs opérations qui paraissent liées », indique le rapport 2024 susmentionné.
Toutefois, dans un contexte ou la criminalité économique et financière est jugée préoccupante, la Centif juge « faibles » les collaborations que l’Etat et ses services attendent des systèmes de transfert d’argent, des sociétés d’assurance/réassurance, des agents immobiliers, des négociants en métaux précieux, des notaires, des casinos et établissements de jeux en ligne, etc.
Dans un rapport publié en 2021, le Giaba affirme que « les casinos classiques évoluant en Afrique de l’Ouest peuvent présenter des risques élevés de blanchiment de capitaux en raison de la forte prévalence de l’argent liquide, de l’existence de joueurs étrangers dans la région, du laxisme des contrôles en matière de LBC sur la mise de fonds et le retrait des gains ainsi que l’absence de déclarations d’opérations suspectes (Dos) aux autorités », lit-on dans l’étude intitulée : « Blanchiment de capitaux: risques et vulnérabilités dans le secteur des casinos et des jeux de hasard en Afrique de l’Ouest ».
Casinos en ligne, la foire au cash
Concernant les casinos en ligne, le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest écrit: « s’il s’agit d’un phénomène relativement nouveau dans la région, la pandémie de la COVID-19 a accéléré la tendance croissante aux jeux en ligne, ce qui permet aux criminels de transférer plus facilement des fonds entre les comptes détenus par ces casinos. Le contexte spécifique aux pays de la région varie considérablement. Les autorités nigérianes ont reçu des DOS de certains de leurs plus grands casinos en ligne (par exemple, Bet9ja), tandis que leurs homologues du Cabo Verde ont signalé n’autoriser la présence d’aucun casino en ligne dans le pays. »
Sous cet angle, la Centif a fortement élevé le niveau de sa coopération avec l’extérieur. Le nombre des sollicitations adressées à des Cellules de renseignement financier (CRF) étrangères est passé – entre 2022 et 2024 – de 36 à 45 avec un pic à 73 en 2023. Dans le sens inverse, les demandes d’information sont passées de 35 en 2022 à 12 en 2024.
Le Sénégal, inscrit en février 2021 sur la liste grise du GAFI (Groupe d’action financière) sous le régime de la surveillance renforcée pour manquements dans la lutte contre le blanchiment de capitaux, en est sorti en octobre 2024 s’était engagé à procéder à des réformes déclinées dans un plan de 29 actions et portant sur 49 mesures à mettre en oeuvre entre février 2021 et septembre 2022.