Laser du lundi : Le Gabon glisse sur le fil d’un rasoir, Paris se prépare et Libreville retient son souffle (Par Babacar Justin Ndiaye)
Pas besoin de câbler les rois-mages, en Galilée lointaine ou de consulter Sélbé Ndom, dans la proche conurbation dakaroise, pour se convaincre que les résultats du scrutin présidentiel seront graduellement tangents, accablants et assommants pour le candidat Ali Bongo Ondimba. Le cartel des anti-Ali – constitué par la coalition des poids lourds de la vieille et de la nouvelle opposition – est un ouragan électoral que le très sclérosé Parti Démocratique Gabonais (PDG) ne peut endiguer, sans s’affaisser dans les urnes.
Du coup, l’équation n’est point le verdict des urnes. Le casse-tête se situe dans le choc entre la victoire aux forceps et la victoire avec aisance. En d’autres termes, les lendemains de l’élection présidentielle seront-ils calmes ou chaotiques ? Certes, les reports de voix ne sont pas mécaniques ; tout comme l’image des ex-gradés de la baronnie politique autour de Bongo-père (Jean Ping, Casimir Oyemba, Zacharie Myboto, Jean Eyégué Ndong etc.) n’est ni lisse ni avenante aux yeux des populations. La phrase qui revient, chez les électeurs, est la suivante : « ils ont tous volé dans le sillage d’Omar Bongo ». Cependant, la soif de changement chez les Gabonais qui ne veulent plus être – quel insupportable paradoxe ! – les citoyens pauvres d’un Brunei équatorial, est immense. Entre la réalité des enjeux et la quête des idéaux, le Gabon piétine. Les prochaines heures seront décisives à l’échelle du petit pays et même au-delà. D’où la frénésie que provoque ce Gabon qui glisse sur le fil d’un rasoir.
Selon des sources sûres, l’ambassadeur de France au Gabon, son Excellence Dominique Renaux s’est rendu, dans la nuit samedi 27 août, à la Villa de la Sablière (Résidence privée du chef de l’Etat), pour dire, en substance, au Président sortant que « La France tient beaucoup à la sécurité de ses intérêts, à la protection de la forte communauté française du Gabon et la sécurité des Etrangers notamment occidentaux. Par conséquent elle (toujours la France) souhaite que l’irréparable soit évité ». Le décryptage de ce message mi-brutal et mi-diplomatique (clair-obscur) que le Gabonais moyen est en mesure de décoder, lève un coin du voile sur les hésitations teintées de panique d’une France qui navigue à vue dans un bourbier postélectoral à la merci des virtualités, des influences et, surtout, des pollutions politiques et géopolitiques difficilement canalisables sur le continent africain.
En effet, la présidentielle gabonaise cristallise des attentions et des calculs occultes qui interfèrent puis refoulent les appétits démocratiques des peuples. D’abord, il y a le syndrome Nkurunziza (du nom du Président burundais Pierre Nkurunziza) qui ravage de façon contagieuse les processus démocratiques en Afrique. Et le fameux « syndicat des chefs d’Etat » assoiffés de second mandat ou désireux de battre des records de longévité s’y agrippent avec toute la force du désespoir. Le syndrome Nkurunziza (il est davantage un reflexe psycho-politique qu’une disposition constitutionnelle) a visité le Congo-Brazzaville où Denis Sassou Nguesso a rempilé, frappé aux portes de la Mauritanie où Aziz a récemment tâté l’opinion dans la perspective d’un troisième mandat, séduit la RDC où Kabila cafouille toujours et gagne du temps etc.
En parallèle au syndrome Nkurunziza, prospère le non moins contagieux phénomène du « 1 coup-KO » qui a entamé sa carrière en Guinée-Conakry, poursuivi sa route en Côte d’Ivoire où Ouattara a gagné au 1er tour, atteint le Tchad où Idriss Déby a triomphé à l’issue d’un tour unique dans une élection présidentielle qui constitutionnellement en prévoit deux. On comprend dès lors que la tentation personnelle et les encouragements de quelques collègues, adeptes de la trouvaille Nkurunziza, conduisent Ali Bongo Ondimba à mettre au KO le cartel – sans précédent – des oppositions, dans un scrutin à un tour.
Au croisement des incertitudes et des risques postélectoraux, il va sans dire que les sapeurs-pompiers de l’ombre grouillent et grenouillent, déjà, dans le sens d’un apaisement qui sera plus enclin à sauver des intérêts extérieurs qu’à promouvoir la démocratie gabonaise. Encore la France – elle doit son statut de puissance nucléaire et sa sécurité énergétique au pétrole et à l’uranium gabonais longtemps pillé à vils prix – qui restera en première ligne sur le double plan diplomatique et militaire, avec une efficacité tributaire de la vitesse avec laquelle elle accordera ses violons sur le Gabon où la DGSE, la DRM, les pétroliers du patronat et le Quai d’Orsay ne lisent pas les évènements avec les mêmes lunettes. Ce qui exige un arbitrage, souvent trainant, de l’Elysée. Dans tous les cas de figure, Paris possèdent deux articulations pour faire face au pépin, à travers l’opération Barkhane (Quartier Général à Ndjamena) et avec les Eléments Français du Gabon constitués par l’ex-6e BIMA basé au camp De Gaulle de Libreville.
L’autre arbitre est, bien entendu, la franc-maçonnerie qui a pignon sur rue et… dans les ruelles du Gabon. De gros pans de l’opposition et de larges segments de la majorité ont appartenu à la Loge de l’Equateur – une excroissance d’une des deux Grandes Loges de France – longtemps sous la férule de feu Georges Rawiri, premier journaliste gabonais. Pour la petite histoire, le Grand-Maitre Georges Rawiri fut le camarade de promotion, à l’OCORA-ORTF, des journalistes Annette Mbaye d’Erneville (aujourd’hui retraitée) et Mamadou Talla ex-conseiller personnel du Président Modibo Keita du Mali. Georges Rawiri est mort dans les fonctions de Président du Sénat de la république du Gabon. Au demeurant, les arrangements maçonniques ont fréquemment précédé ou parachevé les solutions politiques et diplomatiques, notamment en Afrique Centrale.
Dans l’attente de la proclamation officielle des résultats, l’ambiance est révélatrice d’une promenade au bord du précipice. Libreville retient son souffle et frôle l’apoplexie. Avec des signes, des mesures et des absences qui renseignent sur un certain nombre de précautions prises au plus niveau de l’Etat gabonais. Redouté, puissant et impopulaire Directeur du cabinet d’Ali Bongo, le Béninois Maixent Accrombessi (le Raspoutine du régime) est présentement au Maroc. Motif officiel : traitement d’un AVC. Raison véritable : repli stratégique avec le pactole. En revanche, le milliardaire malien, détenteur d’un passeport diplomatique sénégalais, Seydou Kane, se calfeutre chez lui, dans un luxueux immeuble du quartier Atonguabé de Libreville. Preuve que tous les rats dodus n’ont pas quitté le navire qui est encore sur les flots et non sous les eaux.