Laser du lundi : Lamine Diack, le coordonnateur du « Parti de l’Etranger » (Par Babacar Justin Ndiaye)

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Lorsqu’il s’agit des options, des décisions et des choix nationaux et souverains d’un pays, tous les Partis politiques sont les bienvenus, à l’exception du « Parti de l’Etranger ». Dans les nations où les systèmes démocratiques, à haute teneur civique, régulent électoralement la mobilité des dirigeants, tout ce qui s’apparente à un coup de pouce extérieur, est vigoureusement banni. D’emblée, les acteurs épaulés par des puissances (financières ou politiques) situées hors du territoire national, sont dédaigneusement perçus et impitoyablement stigmatisés comme les tenants du « Parti de l’Etranger ». Ce phénomène honni s’appelle le pétainisme politique (allusion au Maréchal Pétain), synonyme de trahison nationale par voie de collaboration avec de réels ou potentiels ennemis de la patrie. Dans certains pays, le « Parti de l’Etranger » figure dans le glossaire politique. Au Sénégal, il est désormais le 256e Parti. Sans récépissé, bien sûr.

Comme on le voit, l’Histoire politique du monde met gravement en relief les actes posés par le Président Lamine Diack et les extraits tirés de son interrogatoire dans le cabinet du teigneux juge français, Renaud Van Ruymbeke, un célèbre spécialiste des dossiers chauds qui – dans l’Hexagone – affole les hommes politiques et dérange les hautes strates de l’appareil judiciaire. D’où les ondes de choc qui ébranlent l’échiquier politique sénégalais, avec d’autant plus de rudesse – et de dégâts probants – que le profil et l’envergure de Lamine Diack pèsent sur la balance de la crédibilisation des révélations. Ministre des Sports du Président Léopold Sédar Senghor (à une période où certains pontes du régime actuel étaient lycéens), maire de Dakar et vice-président de l‘Assemblée nationale, Lamine Diack est suffisamment pétri de culture étatique et grandement pourvu d’expérience politique, pour comprendre que certaines accusations en direction de personnalités de premier plan, équivalent (presque) à un arrêt de mort dûment signé. Méme si, à 82 ans, on se gausse de la mort. Voilà qui convainc qu’il a du béton et non du carton.

Du reste, on ne saurait faire litière de la gravité d’une affaire de corruption, de blanchiment et de conspiration politico-électorale dont l’épicentre se trouve en Europe (l’argent et le dopage concernent la Russie) et les prolongements au Sénégal : théâtre, en 2012, d’une campagne électorale et d’un scrutin présidentiel, tous deux mémorables. Autrement dit, l’affaire Lamine Diack est sans commune mesure avec les fameux chantiers de Thiès qui, eux, sont domestiques de bout en bout. Ici, les intérêts liés à l’athlétisme international (image et magot compris), la personnalité du magistrat français (un dur à cuire) et l’éclat rayonnant des institutions démocratiques du Sénégal donnent au scandale, les caractéristiques d’une secousse tellurique. Le très sévère commentaire du journaliste Jean-Baptiste Placa (chronique RFI du 19-12-2015) en fait douloureusement foi.

Le choc ressenti est d’autant plus fort que le scandale n’a rien d’un écheveau à démêler. Certes, les propos publiés par Le Monde ne sont pas abruptement accusateurs à l’endroit de tel ou tel candidat élu ou battu, mais la limpidité n’est guère affectée. Les confessions de l’ex-patron l’IAAF n’alignent pas des noms mais mouillent un lot restreint de poids lourds de la scène politique. Morceaux choisis : « En dehors du Président en exercice (à l’époque Abdoulaye Wade), il y avait treize autres candidats. Il y avait des jeunes qui s’étaient mobilisés et j’ai misé sur eux. Je les ai financés ».

C’est clair-obscur mais suffisamment clair pour qu’on comprenne que le fer de lance des jeunes mobilisés était le groupuscule « Y en a marre ». Rappelons que le ministre français des Affaires Etrangères, Laurent Fabius, avait fait le déplacement dans la banlieue dakaroise (les Parcelles Assainies) pour échanger avec les ténors de « Y en a marre », dans leur QG. Quand on sait que le Quai d’Orsay prend d’habitude en charge les dossiers brûlants (Moyen-Orient, Daech, le nucléaire iranien et l’Ukraine), et laisse l’Afrique au Sud du Sahara au ministère de la Coopération, on mesure bien l’intérêt, les calculs et les arrière-pensées escortant une pareille disponibilité vis-à-vis d’une bande de rappeurs. L’année électorale 2012 a-t-elle révélé tous ses secrets ?

S’agissant de la douzaine de candidats, il va sans dire que la Russie – correctement informée par son KGB devenu FSB et son ambassadeur immergé à Dakar – n’a pas décaissé les 450 000 euros en faveur de l’escouade des hommes et des femmes vaincus d’avance comme Cheikh Bamba Dièye, Ibrahima Fall, Mor Dieng, Amsatou Sow Sidibé et autre Diouma Dieng Diakhaté. Par conséquent, les candidats triés puis financés par le « Parti de l’Etranger » (d’après Lamine Diack) sont moins nombreux que les cinq doigts d’une main. Inutile de citer bêtement des noms, pour encaisser bêtement une plainte et atterrir bêtement à la DIC. Le Président Lamine Diack a parlé français. Impossible de violer ou de castrer les mots !

En vérité, les personnes comptent moins que le sort du pays aventureusement scellé. L’indignation, la tristesse et l’inquiétude des patriotes pivotent autour du destin du Sénégal que la soif de pouvoir – couplée au déficit patriotique – met terriblement en équation. Quand une puissance étrangère installe un fantoche à la tête d’un Etat, c’est la souveraineté qui est hypothéquée. C’est pire que le pillage économique. Car, l’argent russe n’est pas un investissement structurant mais un asservissement durable. Un boulet. Le Président Poutine (un Colonel du KGB) n’est pas un enfant de cœur, il est un père Noël aux cadeaux toxiques. Rétrospectivement, il apparait que les électeurs avaient le choix (cornélien) entre une dynastie des Wade qui creuse la tombe de la démocratie, et une alternative qui évapore la souveraineté nationale. Après les aveux de Lamine Diack, toutes les victoires électorales, de 2009 à 2012, ont pris une couleur anthracite. Elles ne sont ni totalement blanches ni parfaitement immaculées.

Après la véhémence du discours justificatif de la traque des biens mal acquis, nous voulons croire que les fonctionnaires de l’OFNAC et de la CENTIF n’auront plus le temps d’aller pêcher à la ligne. Même le week-end. Ils feront montre d’une âpreté semblable et d’une hardiesse égale à celles des enquêteurs d’outre-méditerranée. Sinon, c’est le credo de la bonne gouvernance – officiellement magnifiée et sublimée – qui se désintégrera en vitesse. Entre l’argent de l’ex-sénatrice Aïda N’Diongue dont la traçabilité est en pointillé et le blé (russe) de Lamine Diack dont la traçabilité est proprement scandaleuse, le Sénégal patauge dans les marécages de la gouvernance hideuse, c’est-à-dire à mille lieues de la gouvernance vertueuse qui est, à la fois, l’antichambre et la rampe de lancement de l’émergence. Moralité : plus ça change, plus ça se ressemble. Charybde et Scylla sont deux gouffres marins non éloignés des côtes sénégalaises.

Au train où vont les choses, la descente aux enfers de Karim Wade se terminera bientôt par un atterrissage au paradis…politique. Car, la politique installe tous les acteurs dans le royaume de l’imprévu qui est truffé d’écueils inattendus.

PS : 1) Ne soyons pas naïfs ! La Françafrique – avec ses réseaux et ses mallettes – a longtemps défrayé la chronique électorale dans l’Hexagone. Preuve que les anciennes et grandes démocraties ne sont pas entièrement purgées de toute la gamme des turpitudes. L’aide financière de Kadhafi à Sarkozy a fait des vagues jusqu’à Dakar, avec l’interrogatoire du Président ATT. Ainsi marche la démocratie. Elle s’accommode des coups fourrés, à condition qu’ils soient couverts par une dalle épaisse. Léon Blum disait : « En politique, les vertus ne sont pas toujours récompensées mais les erreurs se payent ». 2) Le gouvernement du Sénégal danse plus vite et plus frénétiquement que la musique. Les articles et les démentis du journal Le Monde n’ont aucune valeur juridique. Tout juste une portée psychologique. Seule l’intégralité de la déposition de Lamine Diack, dans le cabinet du juge et face au magistrat Renaud Van Ruymbeke, sera l’ultime vérité. Et non les textes fragmentaires, les rectifications laborieuses et les nuances nuancées de la presse parisienne.

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