Et si le mensonge était une valeur sociale ?

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Le mensonge est souvent mobilisé dans des situations où les individus sont en interaction. La pluralité des moyens d’expression, des moyens de communication avec notamment les médias, Internet, font que le mensonge ne peut pas seulement avoir un caractère verbal. Le mensonge peut prendre différentes formes. Mais ce qu’il faut comprendre également, est qu’il a un sens pour l’individu qui en fait usage autant qu’il peut amener celui ou celle qui en est victime à penser – s’il ou si elle est conscient (e) de cette pratique – qu’il ou qu’elle a été désabusé (e) et qu’une forme d’irrespect s’est manifestée à son égard.

 

Le mensonge et ses usages

Le mensonge est une information fausse ou manipulée, qui a pour objectif d’amener la personne qui écoute ou avec qui on interagit à orienter sa penser ou à émettre des jugements selon ses désirs. Le mensonge peut également être une vérité qui n’est pas exprimée dans le contexte approprié. Mentir est l’expression d’une inégalité réelle ou supposée parce que la personne qui ment, se situe consciemment ou inconsciemment dans la dynamique d’une relation asymétrique dans laquelle le protagoniste ou l’interlocuteur n’est pas douée d’une intelligence égale ou est carrément dans une position inférieure en termes d’analyse de la situation qui lui est relatée. La nature du mensonge qui le rend également singulier, est qu’il utilise la supposée ignorance de l’autre. Mentir ne peut avoir de valeur qu’à partir du moment où la conscience de l’individu le rassure sur le fait que l’autre n’a pas d’informations sur la situation, sur l’événement qu’il est en train de lui conter.

Si nous prenons l’exemple des candidats à une élection, mentir en faisant des promesses, a la particularité de s’appuyer sur une confiance acquise. L’individu qui ment à un groupe, à une foule, s’appuie sur une confiance que lui accordent les gens. Même s’il a conscience qu’il ne peut rien faire, ou qu’il ne peut rien changer, il donne à son mensonge une valeur alimentée par une confiance acquise. Mais on peut continuer à analyser ou à réfléchir sur le mensonge en portant par exemple un avis sur un autre type de mensonge : le mensonge comportemental. Mais comment est-il construit ?

Continuons l’analyse avec l’exemple des élections. Mais cette fois-ci on serait tenté de dire que c’est la société qui est à l’origine de ce type de mensonge comportemental. Les gens qui veulent gagner le cœur des électeurs, même s’ils savent en leur for intérieur qu’ils ne sont pas honnêtes, vont quand même jouer la carte de la sincérité, de la vérité, de l’amour du peuple, de la solidarité, de la proximité. Mais l’identification à ces valeurs est une demande du peuple. Cette contrainte des valeurs qui s’applique à ces potentiels élus, est le point de départ du mensonge comportemental. Elle en est même la principale cause. La société devient victime de ce qu’elle produit. Cette théâtralisation des bons comportements, des valeurs nobles que mènent les candidats à une élection est dangereuse car elle insulte l’intelligence des citoyens et entraîner la déception.

Dans tous les cas, on assiste à une instrumentalisation du mensonge car les individus en le pratiquant, veulent atteindre des objectifs. Mais peut-il y exister un mensonge bienveillant ou un mensonge qui finit par produire quelque chose de positif ?

L’individu une fois élu peut changer son discours et faire comprendre qu’il y a des circonstances sociales, politiques, économiques qui ont favorisé le non-respect des promesses tenues lors de sa campagne électorale. Mais le mensonge persiste, la promesse tenue ayant pris naissance dans un mensonge. Mais peut-on avouer son mensonge à une foule qui nous a fait confiance jusqu’à voter pour nous ? Pour certains politiques, effacer le mensonge va consister à opter pour un agir véridique c’est-à-dire à mettre en place des moyens alternatifs de prise en considération des besoins des populations.

Que dire par exemple d’un homme, qui engagé dans le processus de choix d’une conjointe va faire usage du mensonge afin de projeter une image positive de lui envers la potentielle belle-famille. Ces pratiques peuvent peut-être tourner à son avantage si la potentielle conjointe se représente cette action, cette situation en pensant que la raison de son mensonge est due à l’amour. Voici une phrase qui est souvent servie « je t’ai menti parce que je ne veux pas te perdre ». Mais est-il rassurant, sûr, de laisser un mensonge fonder une relation, constituer le point de départ d’un couple ? Si le mensonge est le premier invité à entrer dans la maison du couple, il y a de fortes chances qu’il y fasse sa demeure pour toujours. Vu sous cet angle, le mensonge ne peut être valorisé jusqu’à être le moyen et la finalité sinon à un moment donné il va tuer la relation de confiance.

Dans certaines situations sociales, la nature des relations entre gouvernant et gouverné, entre mari et femme, entre amis, entre parents et enfants, montre que le mensonge ne peut pas être une valeur. Il n’a même pas à être une stratégie ou l’expression d’une pitié ou d’une compassion parce que soit disant on ne voudrait pas faire mal à un ami, à un mari, à une femme, à un enfant. La vérité est la meilleure des valeurs. Mais pour l’exprimer, l’individu est socialisé d’une certaine manière, a acquis une certaine expérience qui lui permet de savoir à quel moment, il peut la dire pour qu’elle ne soit pas contre-productive. La nature des situations impose l’adoption d’un comportement particulier et une forme de solennité ainsi qu’une forme de langage qui puisse amener l’interlocuteur à comprendre et à s’approprier cette vérité pour agir en conséquence.

Le mensonge : expression d’une contrainte sociale ?

La construction sociale du mensonge est problématique car les individus qui composent la société au sein de laquelle il prend naissance, l’utilisent et le rendent légitime afin de se protéger les uns contre les autres. On assiste alors à un mensonge protecteur car les individus manipulent l’information qu’ils détiennent pour que les autres ne sachent rien de leurs projets. Le mensonge devient ainsi un instrument de la réussite à travers sa façon de contrecarrer les pratiques destructrices des autres à travers l’expression d’une jalousie envieuse.

Cette façon de pratiquer le mensonge nous pousse finalement à nous demander si la vérité est bonne à exprimer et à valoriser dans la vie sociale ?

Il y aurait en effet des mensonges prescrits et des mensonges proscrits selon le contexte qui les fait émerger dans les relations sociales et les interactions. Mais comment arrive-t-on à mentir sciemment alors que d’un autre côté nous avons incorporé des manières de faire grâce à une socialisation religieuse ou familiale. Il n’est pas rare, en effet, de surprendre sur les plateaux de télévision des personnes s’en prendre à leurs semblables qui font usage du mensonge. On pourrait penser que nous détestons ce qui nous aide pourtant à nous débarrasser des mauvaises langues, de la jalousie. Il y a un usage instrumental du mensonge qui est valorisé car il permet aux individus de se protéger contre leurs semblables qui sont capables de freiner leur élan de réussite.

Mentir peut également être l’expression d’un mal-être qu’on désire éviter quand on est sous le feu des critiques difficiles à supporter. Il peut naître d’une introspection qui a pour conséquence de se dédoubler dans la conscience de l’interlocuteur pour penser à sa place le jugement négatif qu’il porterait sur nos actes. Cette entreprise procède finalement d’une contrainte subie puisqu’en ayant conscience que l’acte posé n’est pas conforme aux valeurs et normes sociales, l’individu l’anticipe en livrant une version tronquée pour ne pas être vu comme un déviant. C’est peut-être cette contrainte sociale que subit l’individu – qu’il en prenne conscience ou non – qui peut permettre également de comprendre la manière dont le mensonge se construit socialement.

 

Les usages sociaux du mensonge montrent finalement que ce n’est pas l’expression d’une liberté qui pousse les individus à s’y exercer. Des intérêts personnels, une protection contre des pratiques, une crainte de sanctions, de critiques, sont quelques raisons qui peuvent nous éclairer sur cette pratique. Il va sans dire que son usage semble avoir pour objectif de maintenir une cohésion au sein de la société. Mais l’ampleur de cet usage ne révèle-t-il pas également une incapacité des individus à faire usage et à mobiliser la vérité quand il le faut autrement dit l’individu en action possède-t-il les capacités cognitives pour exprimer à un moment bien déterminé la vérité en fonction de la lecture des situations, des contextes, des attitudes de ses interlocuteurs ?

 

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