Démocratie médiatique

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La presse est-elle en passe de devenir, au Sénégal, l’instance de légitimation de la politique ? L’attachement quasi-atavique des hommes politiques sénégalais à une présence régulière dans les colonnes de la presse écrite, sur les ondes de la Fm et sur les écrans de télévision incline à répondre par l’affirmative. Le phénomène a tellement pris de l’ampleur ces dernières années qu’une agence de communication de la place avait estimé utile de procéder à un pointage régulier des journaux dakarois et dressait un classement hebdomadaire des hommes politiques les plus médiatiques. Cette hypermédiatisation de la politique est, bien entendu, décriée par de larges franges de l’opinion qui ont l’impression d’être prises en otage par la classe politico-médiatique.

Journalistes et hommes politiques s’inscrivent dans un mouvement de balancier où les uns profitent des petites phrases assassines pour faire « mousser » leurs gros titres et les autres de la capacité d’influence sur l’opinion de ces relais médiatiques pour affiner leur image ou leur offre politique. Aidés par des états-majors dont le rôle de gourous de la stratégie revient souvent à des conseillers en communication, les hommes politiques sont promus, vendus exactement comme on en ferait avec des produits d’entretien. Désormais, la communication a tendance à remplacer l’action. « Parlez de moi, même en mal », suppliait un homme politique qui ne supportait pas de ne jamais figurer sur le baromètre de popularité d’un hebdomadaire de la place. L’action politique est-elle consubstantielle à l’exposition médiatique ? Ou est ce que les seuls plans médias concoctés par des spin doctors suffisent à garantir l’efficacité de l’action politique ? On a reproché à l’opposition, lors de la dernière présidentielle, d’avoir confondu l’espace médiatique au terrain politique ; ce qui, au finish, lui a valu sa déconvenue.

Longtemps, les politiques s’étaient laissé guider par leur intuition, sur la façon de faire campagne, comme sur la façon de gouverner. Puis, les conseillers en communication ont prétendu être les seuls capables de leur fournir les clés et les outils nécessaires pour convaincre l’opinion en investissant… la presse. De fait, la communication est, aujourd’hui, un puissant outil de persuasion politique. Sans communication politique, il n’y a pas un candidat qui puisse prétendre devenir présidentiable. Mais, elle ne fait pas la politique à elle seule. Tout le monde a cru, à tort, que Kennedy avait été élu contre Nixon grâce à la télévision. Ce n’était pas vrai. Au cours de leurs célèbres face-à-face, Nixon semblait confondre la télévision avec la radio ; il parlait sous l’oeil des caméras comme on s’exprime au micro d’une radio, avec des slogans, des phrases toutes faites, apprises par coeur.

Kennedy, lui, semblait hésiter, mais à cause même de ces hésitations, il donnait des gages de sincérité. C’est cette sincérité qui est passée grâce à la télévision. On oublie souvent, sous nos tropiques, que la communication ne parvient pas à façonner entièrement l’opinion. Ainsi, les lecteurs n’apprécient guère que la presse prenne parti à leur place. Ils ont alors une réaction de rejet vis-à-vis des médias, qu’ils soupçonnent de vouloir les manipuler et, du coup, font le contraire de ce que les médias paraissent leur dicter. L’opinion peut se laisser séduire un temps par une image savamment cultivée. Mais, elle finit toujours par juger l’homme politique à ses actes. Et si ce qu’il fait déçoit, son image se brise. L’exposition médiatique ne sert alors plus à rien.

 

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