LA CARTE 2018 DES RÉVISIONS CONSTITUTIONNELLES EN AFRIQUE, LE CAS DU TOGO INQUIÈTE

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koumpeu.com–En 2017, les retouches à la loi fondamentale ont pu déclencher de vives protestations de la rue ou même des polémiques qui ont fait reculer certains chefs d’Etat. Pour autant, en 2018, plusieurs pays envisagent de dépoussiérer leur Constitution pour y introduire des dispositions pour «consolider les acquis démocratiques». Mais dans bien des cas, cette «révision constitutionnelle» est un tripatouillage alimenté par des intérêts personnels. Tour d’horizon de ces pays qui veulent réviser «la loi des lois».

En dépit des protestations de l’opposition et d’une partie de la société civile, Alassane Ouattara a entraîné la Côte d’Ivoire, dès 2016, dans la «Quatrième République» via un référendum. Au forceps, Mohamed Ould Abdelaziz a passé outre le refus des sénateurs et les réserves de l’opposition pour faire changer l’hymne et le drapeau de la République islamique de Mauritanie. Avec moins de chance, le «mandat unique» que Patrice Talon voulait graver dans le marbre constitutionnel a été abandonné sous la pression du «Front pour le sursaut patriotique» et après une épidémie de polémiques et une virulente volée de bois vert.

La désillusion est plus grande pour le Malien Ibrahim Boubacar Keïta, contraint par la rue à revoir sa copie. Son homologue du Togo, Faure Gnassingbé, n’est pas mieux loti. Son projet d’aménager le texte constitutionnel s’est heurté à un «niet» catégorique de manifestants réclamant son départ et le retour à la Constitution de 1992. Et pourtant, cette tendance à la modification constitutionnelle devrait se poursuivre en 2018 et certains pays sont à surveiller de très près :

Gabon : vers une «monarchisation» du pouvoir d’Ali Bongo

La révision constitutionnelle pourrait être la litière de l’actualité politique 2018 dans un Gabon qui s’achemine vers des législatives, après une présidentielle 2016 très controversée. Adoptée par une Assemblée nationale dominée par le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir), la modification constitutionnelle est sur la table des sénateurs. L’opposition pousse des cris d’orfraie et dénonce une adoption en lectures différentes devant les deux chambres avant son adoption par le Congrès.

Mais la critique la plus avancée est celle d’une «monarchisation» de l’Exécutif gabonais. La nouvelle constitution qui puise ses propositions dans les conclusions du dialogue politique inclusif -boycottée par Jean Ping- fait sauter le verrou de la limite de mandat du président de la République. Au pouvoir depuis 2009, Ali Bongo sera éligible sans limites (sous réserve d’adoption du texte) à un mandat de sept ans. Dans son esprit, l’âge minimum requis pour être candidat au Palais du bord de mer de Libreville n’est plus un impératif et les ministres sont tenus de faire un «serment d’allégeance» au président gabonais. Cela ressemble fort à une monarchie présidentielle !

Tchad : le fédéralisme qui cache le septennat d’Idriss Deby

Si la modification est adoptée, le portrait d’Idriss Deby pourrait encore orner longtemps les administrations et les représentations diplomatiques tchadiennes. A la manœuvre, le Haut comité chargé des réformes institutionnelles(HCRI) a déjà déposé sur le bureau du Palais Rose de N’Djamena la liste des aménagements à apporter à la Constitution en vigueur depuis 2005. Une décennie plus tard, le texte de substitution propose de faire passer le Tchad d’un Etat unitaire à un Etat fédéral.

Il devrait aussi porter le mandat des députés, sénateurs et conseillers municipaux, dès 2021, à six ans au lieu de cinq. Mais ce n’est que l’arbre qui cache un labyrinthe de perspicacité. La nouvelle Constitution envisage de porter le mandat du président à 7 ans, renouvelable une seule fois à partir de 2021. La durée d’un an qui sépare l’expiration du mandat du président de celui des élus permettrait au président de «caser» une clientèle politique en vue d’une réélection. Au pouvoir depuis 1990, Idriss Deby, 65 ans, pourrait théoriquement avoir deux septennats supplémentaires, selon le nouveau texte. Avant de passer le relais présidentiel, Alberto -le surnom de Deby- pourrait quitter le pouvoir à l’âge de 80 ans !

Togo : la non-rétroactivité, la carte de Gnassingbé face à la rue

Au feu d’une contestation populaire menée de front par une coalition de quatorze partis de l’opposition, Faure Gnassingbé avait temporisé sur le projet de réforme constitutionnelle examiné l’année dernière par le Parlement. Un abandon ? Loin de là.

Dans ses vœux de fin d’année pour 2018, le président du Togo depuis 2005 a joué la main tendue tout en indiquant vouloir soumettre sa «chirurgie» de la Constitution au peuple togolais. Un cadeau de fin d’année qui devrait rythmer le climat politique déjà surchauffée par le bras de fer entre pouvoir et opposition. Mais le plus important est en train d’être relégué au second plan.

Le texte de la nouvelle Constitution propose une limitation du mandat présidentiel à deux quinquennats. Mais il ne pourra pas s’appliquer de façon rétroactive à Faure Gnassingbé qui en est à son troisième bail au palais présidentiel de Lomé. Si la limitation peut être saluée comme une avancée cosmétique de la démocratie, la non-rétroactivité de la réforme est une carte maîtresse qui devrait permettre à Gnassingbé de rester théoriquement au pouvoir jusqu’en 2030. Ce principal point d’achoppement sonnera encore la reprise du bras de fer avec la rue.

Mali : le recul d’IBK pour un saut vers l’inconnu

Des manifestations monstres ont eu raison de la volonté d’IBK de dépoussiérer la Constitution de 1992, un revers pour le président malien qui doit remettre son fauteuil en jeu pour la présidentielle de 2018. Mais le locataire de Koulouba n’a fait que remettre la partie pour une répétition avant la présidentielle. Il compte reculer pour mieux sauter. Pourtant, la marge de manœuvre présidentielle est très étroite.

Comment en effet organiser un référendum constitutionnel dans un contexte sécuritaire où le territoire n’est pas entièrement sous contrôle de l’Etat, qui plus est en pleine année électorale ? Ces questions et les réserves qui les accompagnent se poseront avec la même acuité sur l’organisation d’une élection présidentielle.

Le projet de nouvelle Constitution propose de supprimer la Haute cour de justice, compétente pour juger le président de la République, les ministres et hauts commis de l’Etat. Les pouvoirs du chef de l’Exécutif se renforcent : le président pourra nommer et révoquer le Premier ministre, le Parlement deviendra bicaméral. Principale faiblesse, la Constitution pourra être révisée sans référendum devant le Parlement. Une faille qui pourrait entériner des rallonges de mandats ou des lois sur mesure.

En réalité, personne dans l’opposition ou l’entourage du président ne juge la révision opportune. De l’avis de commentateurs, la révision a été agitée volontairement en épouvantail pour faire capoter l’Accord d’Alger qui oblige le Mali à des réaménagements constitutionnels qui devraient entériner une décentralisation avancée et la prise en compte de l’autonomie des groupes ethniques, ce qui fragiliserait l’Etat central.

Burkina Faso: Roch-Marc entérine la révolution

Au milieu des réformes constitutionnelles mues par des intérêts personnels ou partisans, le Burkina Faso sauve la face. Le président Roch-Marc Kaboré, qui avait fait de la réforme de la Constitution une promesse de campagne, l’a réitérée dans ses vœux pour le nouvel An. Si l’année 2017 a été celle des consultations et du scan du projet de nouvelle Constitution, la nouvelle année devrait être celle du vote. Le projet sur la table du président doit passer devant le Parlement avant d’être soumis au vote référendaire.

Pour préserver les acquis de la révolution de 2013 qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir, la nouvelle Constitution indique clairement et de façon définitive et indiscutable la limitation à deux du mandat du président de «façon continue ou discontinue». Les députés quant à eux pourront avoir trois mandats. Les compétences de la Haute cour de justice seront transférées à la Chambre criminelle de la Cour d’appel qui pourra juger les ministres, mais pas le chef de l’Etat, responsable devant le peuple. Un texte jugé incomplet, mais novateur qui devrait acter le passage du Burkina à la «Ve République».

 


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