Après le putsch manqué, le Bénin s’interroge sur l’influence des juntes voisines

L’ombre des juntes sahéliennes, hostiles à l’Occident et qui cherchent à tout prix un accès à la mer pour leurs pays enclavés, plane derrière la tentative de putsch rapidement déjouée au Bénin début décembre, une situation qui révèle une Afrique de l’Ouest plus que jamais divisée.

Entre déluge de fausses nouvelles sur les réseaux le matin de la tentative de putsch et possible exil du leader des mutins dans l’une de leurs capitales, plusieurs observateurs estiment que les juntes de l’Alliance des Etats du Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger), hostiles à l’Occident et proches de Moscou, auraient vu d’un bon oeil la réussite du coup de force.

Action coordonnée sur les réseaux sociaux

Dès dimanche matin, alors que des militaires apparaissaient à la télévision à Cotonou pour annoncer avoir destitué le président béninois Patrice Talon, des messages coordonnés de comptes pro-AES pullulaient sur les réseaux sociaux pour soutenir le putsch.

L’influenceur panafricaniste et anti-occidental Kemi Seba, fort de son million et demi d’abonnés, se réjouissait par exemple quasi instantanément du « jour de la libération » du Bénin.

Outre ses prises de position anti-Talon, à qui il reproche notamment sa proximité avec Paris, Kemi Seba est depuis l’an dernier un conseiller du général Abdourahamane Tiani, le chef de la junte du Niger qui lui a même octroyé un passeport diplomatique.

« Cette précipitation en dit long : soit l’homme savait, soit il avait reçu des consignes d’amplification bien avant l’issue. L’objectif était limpide – créer un fait accompli médiatique, provoquer des ralliements opportunistes, imposer le récit d’un soulèvement populaire », analyse Fiacre Vidjingninou, docteur béninois en sociologie politique et militaire, dans la revue Conflits.

Un mandat d’arrêt international a été lancé par le Bénin contre Kemi Seba pour « apologie de crimes contre la sûreté de l’Etat et incitation à la rébellion ». Ce dernier a répondu vouloir « aller au bout du combat ».

« Il est évident que la tentative de déstabilisation du régime de Cotonou jetait directement le Bénin dans les rangs de l’AES avec la rhétorique que l’on connaît », pointe une source diplomatique ouest-africaine.

Le meneur des putschistes, le lieutenant-colonel Pascal Tigri est en fuite et n’est pas réapparu depuis le putsch du 7 décembre.

« S’il est dans une capitale de l’AES, il est en sécurité, il ne court aucun risque d’être remis au Bénin », note Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel.

Des pays côtiers convoités

Alors l’AES a-t-elle simplement voulu surfer sur la tentative de putsch ou l’a t-elle initié?

Depuis l’arrivée du général Tiani au pouvoir à Niamey en 2023, le Niger maintient sa frontière fermée avec son voisin béninois, l’accusant d’héberger des « bases françaises » visant à le déstabiliser, des accusations jamais étayées et niées par Cotonou et Paris.

« Si le putsch avait réussi, c’est certain que cela aurait été une bonne nouvelle pour l’AES: un changement de régime aurait initié un début de normalisation avec le Bénin. Mais il n’y a pas d’élément matériel à ce stade qui montre qu’un pays sahélien a transféré de l’argent ou du matériel aux putschistes », note Seidik Abba.

« C’est là toute la subtilité de la méthode – et Moscou procède de façon identique en Afrique subsaharienne : façonner les environnements plutôt que commander directement », ajoute Fiacre Vidjingninou.

Les trois pays de l’AES, aux politiques souverainistes ont claqué la porte de la Cedeao, l’organisation ouest-africaine mais ils sont tous enclavés et privés d’un accès crucial à la mer pour écouler leurs marchandises, et notamment le précieux uranium nigérien.

Lors d’un sommet dimanche notamment consacré au Bénin, la Cedeao s’est toutefois bien gardée de rejeter la responsabilité sur l’AES.

« Les intérêts économiques mutuels entre les pays côtiers et sahéliens restent forts », rappelle Seidik Abba.

Tentative ratée et réveil régional

A la grande différence des putschs récents qui ont porté des juntes au pouvoir dans les pays de l’AES – entre 2020 et 2023 – la population béninoise n’est pas descendue dans la rue et quelques centaines de personnes se sont même rassemblées ce week-end pour dénoncer la tentative de coup de force.

La garde républicaine est restée loyale à Patrice Talon dès l’aurore, en repoussant un assaut sur sa résidence, avant de reprendre progressivement en main la situation, aidée ensuite par des frappes du Nigeria voisin sous l’égide de la Cedeao, et par une intervention des forces spéciales françaises pour du ratissage.

Le Nigeria et la Cedeao étaient notamment restées impuissantes lors du putsch au Niger, en 2023.

Le président nigérian Bola Tinubu a ainsi « saisi une opportunité en or pour souligner l’opposition du Nigeria à un coup d’Etat et réaffirmer son leadership régional », selon Nnamdi Obasi, analyste pour International Crisis Group (ICG).

« Si le coup réussit, l’AES gagne un allié côtier (…) s’il échoue, elle ne paie aucun prix – pas de pertes, pas d’empreinte compromettante – tout en ayant testé les défenses adverses et repéré leurs failles pour la prochaine tentative », conclut Fiacre Vidjingninou.

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