Ce qu’il reste de la tombe de Thomas Sankara en septembre 2017.
Le jour où Sankara est tombéJeudi 15 octobre 1987, 16 heures. Une réunion doit commencer à Ouagadougou au Conseil de l’entente, dans une salle du bâtiment « Burkina ». Thomas Sankara en a fait le siège du Conseil national de la Révolution (CNR). La réunion porte sur la création d’un parti politique, un parti unique dont le but est de rassembler l’ensemble des mouvements de gauche pour sauver la révolution et faire face à la montée des contestations. Six membres de son cabinet sont présents.
Il y a là Paulin Babou Bamouni, journaliste, directeur de la presse présidentielle, Bonaventure Compaoré, employé à la présidence, Frédéric Kiemdé, conseiller juridique à la présidence, l’adjudant Christophe Saba, secrétaire permanent du CNR – un homme de confiance du président -, Patrice Zagré, professeur de philosophie et Alouna Traoré. Ce dernier travaille comme conseiller à la présidence en charge des rassemblements de masse. Il sera l’unique survivant de cette rencontre.
Thomas Sankara arrive dans sa R5 noire. Il a un peu de retard. Il est en tenue de sport – il porte un survêtement rouge -, car le jeudi est jour de « sport de masse ». Il vient de s’asseoir. Alouna Traoré, qui rentre de mission du Bénin, prend le premier la parole. A peine a-t-il commencé que des tirs retentissent.
Alouna Traoré ne le sait pas encore, mais les tirs viennent d’un groupe de militaires qui a pris position autour du bâtiment où la réunion se tient. Le commando a abattu les gardes du corps de Thomas Sankara, sa garde rapprochée.
« Sortez ! Sortez ! Sortez ! » ,
crient les assaillants à ceux qui sont dans la salle :
« Ne bougez pas, c’est de moi qu’ils ont besoin » ,
lance Thomas Sankara en se levant, selon Alouna Traoré.
Sankara ajuste son survêtement, se souvient Alouna Traoré, et les mains en l’air, il sort le premier de la salle. Aussitôt, il est froidement abattu sur le perron de la salle de réunion. Puis ses compagnons doivent sortir à leur tour, sous les injonctions des assaillants, les uns après les autres, par l’unique porte de sortie. Dans son témoignage, Alouna Traoré précise : « Tous ceux qui sont sortis ont connu le même sort que le PF, le président du Faso, alors même qu’ils avaient abattu celui qu’ils voulaient ».
Alouna Traoré est le seul survivant de l’assaut du 15 octobre 1987. © Carine Frenk/RFI
Alouna Traoré est le dernier à sortir de la salle. « Je suis allé me coucher parmi ceux qui avaient déjà été abattus », dit-il. Puis il entend l’un des assaillants : « Y a un qui n’est pas mort, il faut le conduire dans la salle – [où l’on avait conduit d’autres membres du CNR, NDLR] ». Il le suit, pensant que sa dernière heure a sonné. « J’ai simplement demandé à celui qui m’escortait la permission d’uriner, après quoi je me disais que le temps était arrivé pour moi de partir. Mais non ! Il m’a poliment conduit à une salle où j’ai retrouvé certains collègues du Conseil de l’entente. Nous sommes restés dans la salle toute la nuit. Puis le matin, tout bonnement, on nous a demandé de rentrer chez nous ».
Trente ans après, Alouna Traoré ne sait toujours pas pourquoi il a été épargné ce jour-là. Il a fait plusieurs dépressions nerveuses. Il est marqué à jamais. Dans les différentes interviews qu’il a données à la presse, le rescapé n’a pas toujours donné les mêmes détails sur ce qui s’était passé ce jour-là. Il sait que son témoignage a été remis en question par certains. « Je suis un humain. Imaginez-vous l’émotion ! » Mais s’il reconnaît « quelques variances », comme il dit, il insiste sur l’essentiel : « Thomas Sankara a été abattu, assassiné les mains en l’air. Je dis bien les mains en l’air. Je m’en tiens au fait ».
En tout, treize personnes ont donc été tuées ce 15 octobre. Thomas Sankara, cinq participants à la réunion, cinq gardes : Emmanuel Bationo, Abdoulaye Gouem, Wallilaye Ouédraogo, Hamado Sawadogo et Noufou Sawadogo ; Der Somda, le chauffeur de Thomas Sankara ; et un gendarme, Paténéma Soré, venu distribuer un courrier, qui a également trouvé la mort ce jour-là.
Le 15 octobre 1987, après les tirs. C’est la confusion à Ouagadougou. La radio nationale interrompt ses programmes et diffuse de la musique militaire. Puis le soir, entre 19h et 20h, un militaire en tenue lit un communiqué à la radio nationale. Il y annonce la démission du président, la dissolution du Conseil national de la Révolution et proclame la création d’un Front populaire dirigé par le capitaine Blaise Compaoré.
Quelques jours plus tard, un certificat de décès de Thomas Sankara est publié dans la presse. Un certificat selon lequel Thomas Sankara est « décédé de mort naturelle ».
Quant aux cadavres, ils sont enterrés en catimini, la nuit du 15 au 16, au cimetière de Dagnoen, un quartier à l’Est de Ouagadougou. Enterrés par un groupe de 20 détenus. Parmi les fossoyeurs, il y a Malick Yamba Sawadogo qui purge une peine de douze mois de prison. Aujourd’hui, il témoigne : « Nous étions en prison. Le régisseur a appelé le chef de poste pour demander à ce qu’on lui prépare vingt détenus pour une corvée. Et j’ai demandé à mon collègue Rasmané ici présent de faire la liste… dix-neuf plus moi. […] On est venus nous embarquer à la maison d’arrêt. On est passés d’abord au Conseil de l’entente prendre le matériel de creusage. C’était noir, on ne voyait plus rien… Et on nous a dirigés au cimetière de Dagnoen, ici… » Ce 15 octobre 1987, quand les détenus arrivent au cimetière, on leur demande de creuser une dizaine de tombes. Puis les treize corps arrivent. « C’est la raison pour laquelle vous voyez dix tombes alignées, deux tombes en haut et une tombe avancée, celle de Thomas Sankara. Nous avons reconnu tout de suite le président Sankara, se souvient Malick Yamba Sawadogo. Il était couvert de sang, il avait le corps criblé de balles. Essentiellement à la poitrine. Quand nous avons reconnu ce corps de Thomas Sankara, tout le monde était glacé au cimetière. » Les corps sont enterrés en pleine terre. Sans dalle, sans natte, sans cercueil.
Aujourd’hui, trente ans après, les herbes ont envahi le cimetière de Dagnoen. Les treize tombes ont été démolies, en mai 2015, pour exhumer les corps et procéder aux analyses ADN. A l’emplacement de la dalle de Thomas Sankara, il ne reste sur le sol qu’un petit morceau de la sépulture où l’on peut encore lire « président ».