La guerre Israël-Iran peut-elle trouver un faiseur de paix… au Moyen-Orient ? Selon des sources relayées, lundi 16 juin, par Reuters et le Washington Post, l’Iran a demandé la médiation du Qatar, d’Oman et de l’Arabie saoudite afin d’intercéder auprès de Donald Trump, en vue d’obtenir un cessez-le-feu de l’État hébreu.
Téhéran serait prêt, en contrepartie, à reprendre les négociations sur le nucléaire avec les États-Unis, mais exige au préalable l’arrêt des frappes israéliennes, rapporte une autre source à l’AFP.
De longue date, le Qatar et Oman cultivent des liens privilégiés avec Téhéran. Quant à l’Arabie saoudite, rivale historique de l’Iran, elle s’est officiellement réconciliée avec les mollahs, au printemps 2023. Ces mêmes pétromonarchies entretiennent des relations plus feutrées, mais bien réelles, avec Israël.
Arabie saoudite, Oman, et Qatar, qui misent leur prospérité sur la stabilité d’une région instable, peuvent-elles jouer les intermédiaires entre Israël et l’Iran ? Entretien avec Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales et auteur de “La décomposition du Moyen-Orient. Trois ruptures qui ont fait basculer l’histoire” (Ed. Tallandier).
Adel Bakawan : Pour deux raisons principales. La première est sécuritaire. L’Arabie saoudite, qui dirige les pays du Golfe, est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Elle est désormais à la recherche d’un Moyen-Orient pacifié, stabilisé, sécurisé pour pouvoir mettre en place ses méga projets économiques.
Et à un Moyen-Orient déjà déstabilisé par Gaza, ajouter le chaos en Iran mettrait en grand danger la sécurité de ces pays du Golfe, car sur le plan sécuritaire, ils dépendent des États-Unis d’Amérique, et indirectement d’Israël.
Les pays du Golfe, tous sans exception, ont parfaitement réussi à normaliser leurs relations avec la République islamique d’Iran. Le 10 mars 2023, l’Arabie saoudite a signé un accord de pacification avec l’Iran à Pékin.
Aujourd’hui, l’Arabie saoudite, les Émirats, le Qatar et les autres pays du Golfe n’ont aucun intérêt à un changement de régime en Iran, et ont parfaitement intériorisé les mécanismes qui permettent de travailler avec les mollahs. Un avenir sans eux serait inconnu, et ces trois pétromonarchies détestent l’inconnu.
Au niveau économique, la guerre représenterait une catastrophe. Imaginez que l’Iran décide de fermer le détroit d’Ormuz : ce serait catastrophique pour l’économie mondiale, y compris régionale.
Et si les Iraniens frappent la présence militaire américaine en Arabie saoudite, au Qatar, (ou aux Émirats), ces pays se verraient menacés sur les deux plans, sécuritaire comme économique. D’où cette nécessité de convaincre Donald Trump de reprendre les négociations avec l’Iran.
Mais que peuvent offrir le Qatar, l’Arabie saoudite et Oman à Israël en l’échange d’un cessez-le-feu ?
Cela pourrait être un pacte global. Israël est depuis toujours à la recherche de la reconnaissance de l’Arabie saoudite. L’objectif d’Israël, c’est l’Arabie saoudite. Ce pacte global impliquerait que non seulement l’Arabie saoudite, mais aussi l’Iran – l’ennemi historique – et les autres pays arabes reconnaissent Israël. En échange, Israël cesserait ses attaques contre la République islamique d’Iran et reconnaîtrait un État palestinien.
Mais cela reste un souhait, un idéal-type pour le moment inaccessible. Ce serait plutôt un processus qui prendrait énormément de temps.
Plus concrètement, l’Arabie saoudite et le Qatar ont récemment annoncé des investissements de centaines de milliards de dollars aux États-Unis.
Des contrats que ces pays peuvent faire valoir auprès de Donald Trump, arguant qu’un contexte géopolitique déstabilisé empêche des investissements massifs.
Avec un bémol : l’Iran ayant perdu tous ses “proxies” – Assad, Hezbollah, Hamas, etc…, le président américain pourrait répondre qu’un embrasement régional est de toute façon impossible.
Les relations irano-saoudiennes ont été rompues de 2016 à 2023. L’Arabie saoudite ne préférerait-elle pas voir Téhéran affaibli ?
Un affaiblissement du régime iranien ne peut être que bénéfique aux yeux de l’Arabie saoudite : un Iran fort peut mieux imposer son agenda à Mohammed ben Salmane, tandis qu’un Iran pacifié mais très fragilisé serait en position de dominé face à une Arabie dominante.
Ainsi, si la confrontation israélo-iranienne conduit à l’affaiblissement profond de l’Iran tout en maintenant le régime, Mohammed ben Salmane ne serait pas mécontent.
Car le régime iranien correspond parfaitement aux Saoudiens : cet autoritarisme sans démocratie est pour eux un gage de sécurité, de stabilité et de développement économique. Si demain, un régime démocratique s’installe en Iran, cela ne serait pas dans l’intérêt de l’Arabie saoudite.
Reste le paramètre israélien. Dès son premier jour, le régime des mollahs a scandé « mort à Israël ». Dans l’imaginaire des Israéliens, cette République islamique est considérée comme l’ennemi le plus dangereux au monde.
Or Benjamin Netanyahu est convaincu qu’un moment historique se présente : celui d’en finir avec le régime des mollahs. Et dans ce projet, il dispose d’un appui très important à Washington.
Pourquoi l’État hébreu “raterait-il son opportunité” de mettre fin au régime iranien ?