En Afrique de l’Ouest, le discours pro-Brics comme alternative à l’Occident gagne du terrain
Sur les réseaux sociaux ouest-africains, la promotion d’un « avenir meilleur » fait son chemin avec l’appui de nouveaux partenariats avec les puissances non occidentales, et notamment le groupe des Brics, bloc de pays émergents qui se réunit en sommet en Russie cette semaine.
« Nouvel ordre mondial », « monde multipolaire », « vive les Brics »…: ces derniers mois, ces formules sont devenues virales sur des dizaines de pages et comptes Facebook recensés par l’AFP et basés au Sahel, qui diffusent surtout des contenus favorables à Moscou, et dans une moindre mesure à Pékin.
Les Brics regroupent le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, rejoints en 2023 par quatre nouveaux membres: l’Iran, les Emirats arabes unis, l’Egypte et l’Ethiopie.
Créé en mars 2023, un groupe Facebook rassemble par exemple plus de 16.000 membres sous la bannière « BRICS+Afrique pour un Monde Multipolaire ». « Le Monde Multipolaire est en train de se construire avec le continent d’avenir qui est l’Afrique (…) C’est le Nouvel ordre mondial multipolaire ! », est-il avancé en introduction.
On y retrouve des photos du président Vladimir Poutine recevant son homologue émirati Mohammed ben Zayed al-Nahyane peu avant le sommet qui se tient de mardi à jeudi à Kazan, en Russie. Une autre publication se réjouit que les troupes nord-coréennes soient « déjà arrivées » pour combattre en Ukraine aux côtés des Russes, comme l’a affirmé la Corée du Sud ces derniers jours.
La plupart de ces profils sont administrés depuis le Niger, le Burkina Faso ou encore le Mali, et, à l’image du groupe Facebook « Brics Geopolitique », affirment vouloir « façonner un avenir meilleur et plus prospère pour les jeunes générations de ces régions africaines ».
– « majorité mondiale » –
Ces discours font écho au « grand récit qui oppose la +majorité mondiale+ à l’+Occident minoritaire+ » déroulé par le Kremlin ces dernières années, observe le chercheur Maxime Audinet de l’Institut de recherche de l’école militaire, à Paris.
« Critiquer les formes de dépendance imposées par l’+Occident+, promouvoir un +nouvel ordre mondial+ à travers des organisations comme les Brics ou le G20 dont la Russie se veut le porte-voix fait partie d’une véritable stratégie pour séduire le Sud global », affirme-t-il à l’AFP.
Cette stratégie a été détaillée fin 2023 par le théoricien russe Sergueï Karaganov dans un grand rapport qui redéfinit la doctrine russe en matière de politique étrangère et insiste sur l’importance de l’Afrique, l’un des espaces où la « concurrence géopolitique » avec l’Occident est « particulièrement acharnée ».
Au Sahel, dans les pays dirigés par des juntes qui ont pris le pouvoir par la force et se sont rapprochées de Moscou, « la critique de la présence française a été très utile pendant des années, mais maintenant qu’elle est partie le discours se réoriente », ajoute Maxime Audinet.
Pour propager ces nouveaux récits en Afrique, la Russie dispose d’outils employés depuis 2018 par le groupe Wagner, dont les activités de propagande ont été reprises après la mort de son fondateur Evgueni Prigojine par « African Initiative », une agence de presse dirigée par un ex-membre des services de sécurité russes, selon plusieurs experts.
L’écosystème prorusse s’appuie également sur des figures comme l’ex-ministre ivoirien Ahoua Don Mello, vice-président de l’Alliance internationale des Brics pour les projets stratégiques, promoteur d’un panafricanisme libéré du joug colonial et d’une monnaie commune différente du franc cfa.
– échange de contenus –
La Chine n’est pas en reste, comme le montrent les nombreuses publications Facebook relayant les annonces de Pékin évoquant des investissements de dizaines de milliards de dollars sur le continent africain.
Depuis une dizaine d’années, les médias d’Etat chinois comme Xinhua ou Radio Chine Internationale (RCI), francophones et principalement destinés à une audience africaine, se font même les « auxiliaires de la propagande russe » et utilisent des « éléments de langage communs » avec Russia Today et Spoutnik, note Selma Mihoubi, du laboratoire Médiations de la Sorbonne.
Certains contenus sont parfois directement copiés-collés d’un média à l’autre, les deux pays ayant signé des accords formels d’échange de contenus.
« Moscou et Pékin ne sont pas alignés sur tout et sont même en concurrence en Afrique, mais il y a une vraie volonté de parler d’une seule et même voix sur des sujets comme le +nouvel ordre mondial+ », dit-elle.
Ces narratifs servent également l’agenda des militaires au pouvoir en Afrique de l’Ouest, qui espèrent rejoindre une « sorte de club des pays autoritaires à l’image redorée », témoigne un expert de la désinformation de la région.
Au Burkina Faso, dit-il, « de multiples campagnes de désinformation sont organisées localement – et non actionnées par les Russes », souligne-t-il. « Le wifi est devenu gratuit dans certains quartiers de Ouagadougou et cela fait vivre beaucoup de jeunes ».
En juillet, des dizaines de comptes avaient diffusé de manière coordonnée une fausse information, selon laquelle le patron de la junte burkinabè Ibrahim Traoré aurait été accepté comme « membre des Brics ».