Le Nigeria premier utilisateur mondial de cryptomonnaies
Aujourd’hui étranglés par la crise économique due au Covid-19, de plus en plus de Nigérians investissent dans les monnaies virtuelles, hissant la première économie d’Afrique parmi les leaders mondiaux des usagers de bitcoins.
Lorsque Chigoziri Okeke, jeune Nigérian de 27 ans, a acheté ses premiers bitcoins en 2016, c’était pour faire un simple paiement en ligne. Cinq ans plus tard, il possède l’équivalent de 50 000 dollars en cryptomonnaies. « Après mon premier achat, le cours du bitcoin a grimpé à environ 400-500 USD l’unité », raconte-t-il à l’AFP. « Et on m’avait dit qu’avant, ça valait un dollar. Ça m’a motivé à investir une petite partie de mon salaire en cryptomonnaie. »
Plus de 400 millions de dollars ont été échangés en cryptomonnaies au Nigeria en 2020, faisant du géant ouest-africain de 200 millions d’habitants le troisième utilisateur de monnaies virtuelles au monde après les Etats-Unis et la Russie, selon une étude du cabinet de recherche spécialisé Statista. « Ce n’est pas surprenant », estime Andrew Nevin, économiste et directeur pays de PricewaterhouseCoopers. « Le naira est une devise très instable », poursuit-il, en référence aux régulières dévaluations de la monnaie nationale qui perd de sa valeur à chaque crise du pétrole, qui représente 90% de ses apports en devises étrangères.
Investissement virtuel
La Banque Centrale du Nigeria (CBN), étranglée par des pénurie de dollars dans les caisses de l’Etat, bloque régulièrement les paiements à l’étranger, empêchant les Nigérians de faire des achats en ligne ou de payer leurs études dans les universités du monde entier. Pendant que le naira poursuit sa chute et que l’inflation galope, le bitcoin continue son ascension : +90% depuis le début de l’année.
Au Nigeria, le bitcoin, en plus d’être financièrement intéressant, est particulièrement attractif pour la jeunesse, qui s’en est notamment servi pendant les grandes manifestations contre les violences policières d’octobre dernier, pour organiser la révolte et récolter des fonds. Les moins de 30 ans sont la moitié de la population du Nigeria et constituent un immense bassin d’utilisateurs potentiels.
« Les Nigérians sont en général très en avance sur tout ce qui est technologie, et la jeunesse est prête à adopter des méthodes de paiement et d’investissement alternatives, surtout dans un contexte où il y a de nombreux freins à entrepreneuriat », explique à l’AFP Charlie Robertson, économiste pour le cabinet Renaissance Capital.
Adekunle Ahmed, étudiant à l’université de Lagos, n’avait pas d’emploi, comme un tiers de la population active nigériane, lorsqu’il s’est converti en trader de cryptomonnaies en 2019. Pour financer ses études, il a monté une petite entreprise d’opérateurs de marché. Il emploie deux courtiers spécialisés dans l’investissement virtuel et espère étendre ses activités à l’investissement immobilier.« En tant qu’entrepreneur il faut savoir diversifier ses activités. Je veux créer de l’emploi et j’ai déjà le capital pour le faire », raconte le jeune homme.
Devises virtuelles
La CBN met régulièrement en garde les usagers de bitcoins de sa volatilité, elle a gelé des comptes approvisionnés en bitcoins, accusés de financer des flots d’argent illicite, des arnaques en ligne ou le blanchiment d’argent dans ce pays gangrené par la corruption. Elle a récemment interdit à toute banque locale les opérations sur devises virtuelles, provoquant une levée de boucliers de sa jeunesse. Mais rien n’y fait.
Tout passe entre les mailles des contrôles du « monde réel », mais « les cryptomonnaies sont essentiellement spéculatives, anonymes et invisibles », en a conclu la CBN. « Les autorités devraient voir les devises virtuelles comme une solution à la pénurie de dollars, pas une menace », note Olusola Amusan, chercheur nigérian pour le développement des intelligences artificielles basé à Dallas.« Les pays devraient créer un cadre légal aux cryptomonnaies et former des jeunes à commercer dans ces devises », ajoute-t-il.
Si les plateformes les plus simples à utiliser fonctionnent comme des banques classiques, avec des données centralisées sur lesquelles l’Etat peut agir, le réseau bitcoin est basé sur une structure décentralisée : les utilisateurs interagissent entre eux et la transaction est vérifiée par l’ensemble du réseau et non une banque régulée par l’Etat. Des plateformes proposent donc simplement de mettre en relation les acheteurs et les vendeurs intéressés, sans avoir à récolter des données personnelles qui permettraient à l’Etat de contrôler les transactions.
L’évolution constante de ces innovations pourraient convaincre de plus en plus de Nigérians à se tourner vers ces devises, surtout si le pays s’enfonce encore dans la crise économique. « L’être humain trouvera toujours le moyen de contourner les régulations », sourit Olusola Amusan.