Vers un G6?
CHRONIQUE / À lire et à entendre tout ce qui se dit sur le Sommet du G7 présentement, on pourrait presque croire que l’événement est un grand congrès de manifestants.
Et qu’on ne badine pas avec la sécurité.
Des centaines de chiens, des milliers de policiers en renfort, 1,4 kilomètre de clôture pour entourer la Zone de libre expression (!), 375 murets de béton recyclés du fiasco de la Formule E à Montréal où, voyez l’ironie, on aurait tout fait pour que le monde se bouscule au portillon.
On attend, les 8 et 9 juin, 3000 dignitaires et 2500 journalistes. Un budget qui oscille autour de 600 millions $, plus que ce qu’a coûté le Centre Vidéotron
Ah oui, c’est vrai, on pourrait l’oublier tellement on parle de sécurité, il y aura pendant deux jours, dans le confort feutré du Manoir Richelieu, loin de l’écho des manifestants, les dirigeants des sept pays les plus industrialisés qui feront le point sur les grands enjeux du monde.
Rien à voir avec les réserves mondiales de gaz lacrymogènes.
Jusqu’en 2014, le G7 était le G8, la Russie de Vladimir Poutine ayant été suspendue pour avoir annexé de force la Crimée. Restent, en ordre d’importance de l’économie, les États-Unis avec Trump, le Japon, avec Shinzo Abe, l’Allemagne avec Angela Merkel, la France avec Emmanuel Macron, la Grande-Bretagne avec Theresa May, l’Italie avec Paolo Gentiloni et le Canada avec Trudeau.
Une hydre à sept têtes.
Chacun a ses problèmes à la maison. Pendant que l’étau se resserre sur Trump, May est empêtrée dans le Brexit, Macron est engagé dans un bras de fer contre les cheminots, la cote de popularité de Merkel n’a jamais été aussi basse. Gentiloni est un canard boiteux, il a démissionné en mars et demeure en poste le temps qu’une coalition se forme, ce qui, en Italie, est un sport national.
Abe, lui, est empêtré dans une série de scandales, entre autres d’avoir voulu dissimuler des rapports militaires sur la participation du pays à une mission en Irak. Il aimerait bien convaincre Donald Trump de revenir sur sa décision de larguer l’Accord de partenariat transpacifique.
Cela pendant que Justin Trudeau essaye de souffler sur les braises de l’ALENA.
Mais c’est du sort du monde dont il sera question en juin. Et, par les temps qui courent, les dirigeants du G7 ont l’embarras du choix: le bourbier syrien, l’Iran, la Corée du Nord, la flambée de violence meurtrière dans le conflit israélo-palestinien, gracieuseté de Trump qui a décidé de déménager l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem.
L’art de mettre de l’huile sur le feu, littéralement.
En tant qu’hôte du G7, le Canada a identifié cinq thèmes aux fins de discussion : la croissance économique, le climat, les emplois de l’avenir, l’égalité des sexes et, le dernier et non le moindre, «construire un monde pacifique et plus sûr».
Gros programme.
À peu près le même, remarquez, que le dernier Sommet du G7 l’année passée à Taormine en Italie qui avait frôlé l’éclatement. Et qui s’était terminé par une déclaration tout en circonlocutions, Donald Trump s’étant inscrit en faux sur à peu près tous les enjeux, surtout l’environnement.
On a parlé du G6+1.
Ça risque de ressembler encore à ça, peut-être même à un G6 tout court, avec comme trame de fond le retrait récent des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, qui vient fragiliser encore davantage l’équilibre géopolitique. Justin Trudeau et les autres dirigeants des pays ont déjà annoncé que le sujet sera à l’ordre du jour.
La Corée du Nord sera bien évidemment sur toutes les lèvres, alors que tous les yeux sont tournés vers Donald Trump qui, cette fois, semble être parvenu à créer une certaine ouverture au dialogue. Le premier ministre du Japon, en colère contre l’imposition de droits par Washington, pourrait être tenté de mettre de l’eau dans son vin.
Les dirigeants européens n’auront pas ces réserves.
En tant qu’hôte du Sommet, Trudeau aura fort à faire pour sauver les apparences. En entrevue à l’AFP, il s’est dit confiant que lui et ses homologues du G7 sauront «se rassembler sur les questions de sécurité et […] de croissance économique» avec «des discussions vraies et solides sur la façon d’avancer ensemble».
Rien n’est moins sûr.
En fait, c’est à se demander si les dirigeants seront même capables, comme le veut la formule consacrée, d’arriver à s’entendre sur le fait de ne pas s’entendre.
le Soleil