Sénégal: aux sources du mal, Sirops pour prise de poids, boulettes pour fesses
Au Sénégal, certaines femmes ont de plus en plus soif d’une plastique de rêve. Ce « corps parfait » se caractérise par un torse fin, un postérieur et une poitrine rebondis. Une obsession qui les pousse à utiliser toutes sortes de produits dits « d’urgence », très en vogue sur les réseaux sociaux, mais dont les effets secondaires peuvent être meurtriers.
« Alima Suppo » est tombée. La dame, devenue très célèbre sur TikTok, s’activait dans la vente de suppositoires, boulettes et autres produits destinés à grossir les fesses. Arrêtée en même temps que d’autres, elle a été déférée au parquet pour plusieurs chefs d’accusation.
Mais ces arrestations, parmi tant d’autres, soulignent la gravité de la situation. En effet, ce phénomène, qui avait perdu de sa popularité, a repris de l’ampleur, notamment grâce aux réseaux sociaux.
De plus en plus de filles et même de femmes mariées, qu’elles soient minces ou de poids moyen, rêvent d’un corps en forme de sablier. Sur les réseaux sociaux, des femmes qui se trouvent « trop maigres » vantent les mérites de produits et parfois de médicaments antiallergiques qu’elles détournent pour prendre rapidement du poids et surtout des fesses artificielles, ignorant les risques associés à ce mésusage. Leur obsession : avoir « des formes », c’est-à-dire des fesses et des seins volumineux.
Sur Instagram, TikTok ou YouTube, plusieurs comptes commercialisant ces produits postent des photos et vidéos de filles affirmant avoir utilisé ces produits et en être satisfaites. La promotion de ces boulettes et autres substances nocives attire des millions de vues et des centaines de commentaires.
Adama Ba, le « suppositoire magique » et les douloureux ballonnements
Sira, 24 ans, du haut de ses 1m80, a déjà testé ces produits. Cette habitante de Maristes 2 s’en réjouit d’ailleurs. « J’aime beaucoup ma taille fine, mais il fallait que j’attire l’attention avec des fesses plus rebondies. J’ai aussi acheté une huile pour grossir mes seins », avoue-t-elle.
Étudiante dans un institut privé de la place, elle confie que l’usage de ce type de produit lui a donné satisfaction, car elle a désormais la forme dont elle rêvait. Mais à l’entendre, on comprend que les raisons qui poussent la majorité des femmes à s’adonner à ce genre de pratiques sont les regards extérieurs, en particulier celui des hommes.
Gérante d’un salon de coiffure, Adama Ba raconte avoir traversé une période sombre de son existence après l’utilisation d’un « suppo urgence ». « Les jours qui ont suivi, je n’arrivais plus à aller à la selle. Mon ventre était ballonné et c’était douloureux. » Après plusieurs jours dans cet état, la jeune femme, mère d’un enfant, a retrouvé le sourire grâce à l’intervention d’un médecin. « Je suis persuadée que mon calvaire était lié à cela. La preuve en est que celui qui m’a vendu ce produit était injoignable lorsque j’essayais de le contacter », dénonce-t-elle avec force.
Tout comme Adama, les femmes devraient se méfier de plus en plus de ces produits. Il faut savoir qu’ils ne sont pas sans effets secondaires sur la santé.
C’est en tout cas l’alerte lancée par le Dr Fall, médecin spécialiste en dermatologie. Il explique que l’application de ces produits sur les fesses et les seins pour en augmenter le volume entraîne une désorganisation des cellules graisseuses, ce qui peut conduire au cancer. « Une augmentation exagérée ou asymétrique des fesses peut déséquilibrer la stature de la femme et donc du bassin, entraînant des difficultés lors de l’accouchement », prévient-il.
Des infections graves susceptibles de dégrader la muqueuse rectale
Cette augmentation exagérée pourrait également créer de la cellulite (inflammation) par modification ou altération du tissu cutané ou sous-cutané, perturbant ainsi la circulation veineuse et lymphatique, et provoquant des douleurs par compression des nerfs innervant la peau.
« Ce ne sont pas des produits pharmaceutiques qui permettent le grossissement du sein et du postérieur », précise notre interlocuteur. Selon lui, l’ingurgitation de ces capsules interdites pourrait provoquer une insuffisance rénale, une perforation des intestins ou des hépatites.
Répondant au pseudonyme de « médecin conscient » sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, un jeune homme a lancé une campagne de sensibilisation. Il a expliqué, au micro de Seneweb, que ces produits ne sont pas fabriqués selon les normes d’hygiène et que leur confection se fait à partir de poudres à usage oral.
« Les suppositoires utilisés par les jeunes femmes, sous forme de boulettes, sont composés de poudres telles que le fenugrec, l’akpi et la maca. Administrés par voie rectale, ils entrent en contact avec les matières fécales et les bactéries locales, ce qui peut entraîner des infections graves susceptibles de dégrader la muqueuse rectale. Ces complications incluent des saignements, des hémorroïdes et d’autres infections graves », a alerté « médecin conscient », avant de regretter: « Malheureusement, face à l’apparition de ces effets secondaires, les femmes concernées choisissent souvent de taire leurs maux, par crainte d’être jugées ou stigmatisées».
Toujours selon le praticien, les sirops dits « apoutchou » ou « prise de poids » sont souvent composés de somnifères, de stimulants de l’appétit et d’autres substances aux effets potentiellement nocifs pour la santé. Leur utilisation, bien que populaire dans certains milieux, soulève de sérieuses inquiétudes quant à leurs conséquences sur le bien-être physique et psychologique des consommateurs ».
Dr Souleymane Lô, sociologue : « Les formes corporelles généreuses sont souvent associées à la féminité, à la fertilité et à l’attrait sexuel »
Effet de mode, entraînement ou conformisme sociétal ? La prise de poids par le biais de comprimés, gélules, sirops, pommades, injections, poudres… est devenue courante au Sénégal et semble inquiéter plus d’un. Même si certains Sénégalais en parlent encore dans le dos de celles qui en usent, ces dernières semblent facilement reconnaissables à leurs nouveaux traits physiques.
« Au regard de la société, une fille doit avoir un bon « toogukay » (fesses, ndlr). La plupart des hommes sénégalais ont toujours préféré les femmes à forte corpulence, décrites comme « jongoma » », dit Absatou Bèye, interrogée sur cette tendance. Cette commerçante soutient qu’après de multiples interrogations sur la question, certaines femmes cèdent à cause de la « pression » sociale.
Un témoignage recueilli d’une étudiante atteste qu’« on ne peut pas s’affirmer à 100% si on pense à l’opinion sociale. Les gens vont tout le temps te dire : ‘Tu es trop mince, on dirait que tu ne manges pas’. Les personnes que tu côtoies te feront toujours te sentir à part, surtout si tu n’as que des amies avec des formes généreuses. À un moment donné, tu auras honte de te montrer avec elles, ou tu chercheras à avoir les mêmes formes. »
Mais ce phénomène est-il réellement la cause d’une pression sociale ? Nous avons posé la question à un sociologue.
D’emblée, le Dr Souleymane Lô affirme qu’au Sénégal, comme dans de nombreuses sociétés africaines, « les formes corporelles généreuses (fesses et seins proéminents) sont souvent associées à la féminité, à la fertilité et à l’attrait sexuel ». Il ajoute que « cette valorisation du corps voluptueux est enracinée dans des références culturelles où la femme est perçue comme plus désirable et épanouie lorsqu’elle possède certaines formes ». Un exemple est le modèle de la « femme taata guine » au Sénégal.
« Dans un contexte où le mariage et la séduction occupent une place centrale dans la vie des femmes, certaines ressentent une pression sociale pour répondre aux attentes masculines », dit-il. Il rappelle également que « les discours masculins dans la musique populaire (comme le mbalax) ou sur les réseaux sociaux valorisent souvent les femmes aux formes généreuses, incitant certaines à rechercher des solutions artificielles telles que l’utilisation de ces produits. Cela est d’autant plus vrai que même dans certains milieux, un corps jugé trop mince ou « plat » peut être un facteur de discrimination sociale et affecter la confiance en soi. »
Le sociologue évoque également ce qu’il appelle l’économie de la beauté et le commerce des produits de modification corporelle.
« L’accessibilité financière de ces produits (souvent moins chers qu’une chirurgie esthétique) encourage leur consommation, malgré les risques sanitaires associés. Certaines vendeuses de ces produits utilisent des stratégies de marketing agressives et exploitent la détresse ou le désir des femmes pour vendre leurs marchandises », constate-t-il.
Quoi qu’il en soit, conclut-il, « l’utilisation de ces produits reflète des dynamiques sociales, économiques et culturelles où le corps féminin devient un enjeu de valorisation sociale et de performance esthétique. La pression du regard des autres, l’influence des médias et la recherche de capital symbolique et économique expliquent pourquoi ces pratiques persistent malgré les dangers ».