Los Angeles : Watts, Rodney King, George Floyd, une longue histoire de contestations

Donald Trump a ordonné, samedi 7 juin, l’envoi des militaires de la Garde nationale à Los Angeles après deux jours de manifestations, parfois violentes, contre les expulsions d’immigrés. Le président républicain a pris cette décision « pour remédier à l’anarchie qu’on a laissé prospérer », malgré les objections du gouverneur de Californie Gavin Newsom et de la maire de Los Angeles, Karen Bass, tous deux démocrates.

Un tel déploiement de la Garde nationale est très rare. Force armée de réserve, elle a été récemment principalement mobilisée lors de catastrophes naturelles, comme lors des mégafeux à Los Angeles début 2025. Elle est aussi occasionnellement déployée en cas de troubles civils, mais presque toujours avec l’accord des autorités locales, ce qui n’est pas le cas à Los Angeles.

Par le passé, la cité californienne a déjà été secouée par des troubles civils ayant pour déclencheur des injustices raciales.

  • 1965 : les émeutes de Watts

Sur cette photo datant du 12 août 1965, des manifestants bousculent une voiture de police dans le quartier de Watts à Los Angeles.
Sur cette photo datant du 12 août 1965, des manifestants bousculent une voiture de police dans le quartier de Watts à Los Angeles. AP

Il y a bientôt 60 ans, le 11 août 1965, Marquette Frye, un Afro-américain de 21 ans, est arrêté pour conduite en état d’ivresse et brutalisé par un policier blanc dans le quartier de Watts, à Los Angeles. Alors qu’une foule assiste à cet incident, des rumeurs se répandent selon lesquelles la police a aussi donné des coups de pied à une femme enceinte présente sur les lieux.

Après une première nuit de troubles, cet événement déclenche six jours d’émeutes. Le chef de police de Los Angeles William H. Parker demande alors l’aide de la Garde nationale de Californie, estimant que les émeutes ressemblent à une insurrection. Selon The Martin Luther King Jr. Research and Education Institute, 14 000 militaires sont alors déployés.

Trente quatre personnes trouvent la mort, dont les deux tiers sont abattues par la police ou les troupes de la Garde nationale. On compte également plus de 1 000 blessés, près de 3 500 arrestations et plus de  40 millions de dollars de dégâts matériels. Beaucoup disent que le quartier de Watts ne s’est jamais complètement remis des incendies qui ont rasé des centaines de bâtiments.

  • 1968 : East LA Walkouts

Deux manifestantes sont arrêtées lors de la grève du lycée de Belmont, à Los Angeles en 1968.
Deux manifestantes sont arrêtées lors de la grève du lycée de Belmont, à Los Angeles en 1968. © Wikimedia

En mars 1968, plus de 15 000 élèves « chicanos » de sept lycées de Los Angeles décident de débrayer pour réclamer l’égalité des chances en matière d’éducation, des classes à effectifs réduits, des programmes bilingues et des programmes d’enseignement adaptés à la culture latino.

Ce mouvement, qui a rassemblé des milliers d’étudiants de la région de Los Angeles, est qualifié de « première grande manifestation de masse contre le racisme par des Américains d’origine mexicaine dans l’histoire des États-Unis ». En mars 1968, 13 des organisateurs de ce mouvement, connu également sous le nom de « Blowouts » (éruptions cutanées en français, NDLR), sont arrêtés pour complot en vue de déclencher des grèves. Après leur libération, nombre d’entre eux sont devenus des figures marquantes de la scène politique.

  • 1992 : les émeutes de Los Angeles

Le pillage d'un magasin d'occasion, lors des émeutes de Los Angeles le 29 avril 1992.
Le pillage d’un magasin d’occasion, lors des émeutes de Los Angeles le 29 avril 1992. ASSOCIATED PRESS – Reed Saxon

Le 29 avril 1992, une décision de justice met le feu aux poudres : quatre policiers blancs, accusés d’agression et d’utilisation excessive de la force à l’égard d’un jeune automobiliste noir, Rodney King, sont acquittés par un jury composé de 10 Blancs, un Asiatique et une Hispanique. La scène avait pourtant été filmée un an auparavant.

Quelque 100 000 personnes descendent dans la rue pour protester contre le jugement, mais les manifestations dégénèrent rapidement en émeutes, pillages, incendies de maisons et de commerces. Dans la Cité des anges, les quartiers noirs s’embrasent et le contrôle de la situation échappe aux policiers qui reçoivent parfois l’ordre de ne pas intervenir.

Dès le deuxième jour de violences, le maire de la ville, Tom Bradley, décrète l’état d’urgence et un couvre-feu dans plusieurs quartiers pour contenir les zones de violences et de pillages. En vain. Des fusillades éclatent entre commerçants et pilleurs. Ce n’est qu’au cours du quatrième jour que la Garde nationale est appelée en renfort, et que la situation commence à revenir à la normale.

Certains ont comparé la décision de Trump à l’utilisation par le président de l’époque George H.W. Bush de l’Insurrection Act, qui l’autorise à déployer les forces armées ou la Garde nationale sur son territoire pour réprimer une rébellion armée, des émeutes ou d’autres situations extrêmes. Comme le rappelle le Washington Post, c’est la dernière fois qu’un président américain a ordonné l’envoi de troupes de la Garde nationale. Contrairement à son homologue actuel, Bush l’avait fait à la demande du gouverneur républicain de Californie, Pete Wilson, et du maire démocrate de Los Angeles, Tom Bradley.

En seulement six jours, les émeutes de 1992 sont devenues l’une les manifestations raciales les plus meurtrières de l’histoire américaine, avec 63 morts, dont neuf tuées par la police, plus de 2 300 blessés, 4 000 incendies et des dégâts estimés à un milliard de dollars. Comme le souligne le magazine Time, « comparés aux destructions et aux violences de 1992, les dégâts causés jusqu’à présent par les manifestations contre l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) (la police de l’immigration, NDLR) des États-Unis ont été mineurs ».

  • 2020 : la mort de George Floyd

Des policiers s'avancent pour dégager la rue lors d'une manifestation suite à la mort de George Floyd, le 29 mai 2020, à Los Angeles.
Des policiers s’avancent pour dégager la rue lors d’une manifestation suite à la mort de George Floyd, le 29 mai 2020, à Los Angeles. AP – Ringo H.W. Chiu

Le 25 mai 2020, George Floyd, un homme noir de 46 ans est asphyxié par un policier blanc, lors de son arrestation à Minneapolis. Les images de cet homicide entraînent une vague de protestations un peu partout aux Etats-Unis et dans d’autres pays du monde.

Alors que les manifestations prennent aussi de l’ampleur en Californie, le gouverneur Gavin Newsom, toujours en poste actuellement, décide de déployer environ 8 000 soldats de la Garde nationale. Plus de la moitié des troupes déployées dans l’Etat sont envoyées dans le comté de Los Angeles, où la police arrête plus de 3 000 personnes. Les responsables municipaux de l’époque, y compris le maire de Los Angeles Eric Garcetti, soutiennent la décision du gouverneur.

Citée par Associated Press, l’historienne Elizabeth Hinton de l’Université de Yale, qui a écrit un livre sur les soulèvements liés à la race et la violence policière, estime que les manifestations de 2020 ont été qualifiées de violentes, mais que pour la plupart, elles ne l’étaient pas.  « C’est encore plus vrai aujourd’hui, explique l’autrice de « America on Fire: The Untold History of Police Violence and Black Rebellion Since the 1960s » (éditions Liveright) en faisant référence aux manifestations actuelles à Los Angeles. « Il n’existe aucune menace imminente qui nécessiterait le déploiement massif de troupes militarisées ».

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