Leçons à retenir sur les séries noires des cyclones
La série noire des cyclones qui balaient en ce début d’automne les tropiques recèle t-elle des leçons climatiques ? Oui, et pas seulement au regard du changement climatique provoqué par nos émissions massives de gaz à effet de serre.
Commençons par la question qui agace. Celle que les journalistes, sommés de le faire par des rédactions en chef avides de simplisme, posent à des scientifiques, pas toujours spécialistes en cyclones… mais on fait avec ce que l’on trouve. Les cyclones actuels, Maria, Irma, Katia, etc… sont-ils provoqués par le changement climatique en cours ? Autrement dit, n’auraient-ils pas eu lieu en son absence ?
Pro et anti ont déjà la réponse
Ainsi posée, la question a déjà des réponses opposées dans l’espace public. Assénées par les militants du climat – les pro comme les anti. Personne n’a rien contre le climat, bien sûr. Mais les « pro » sont les militants des ONG qui ne sont pas regardants quant à la qualité scientifique d’un argument s’il leur semble convaincant. Donc, pour eux, Irma doit son existence à nos centrales à charbon. Quant aux « anti« , tout aussi indifférents à la science, ils y trouvent néanmoins sans aucun problème des arguments en apparence plus présentables, dans les séries longues de cyclones qui ne montrent guère pour l’instant de changement majeur dans leur fréquence, leur intensité demeurant plus délicate à mesurer pour le passé lointain. Le comique de l’utilisation de cet article par les climatosceptiques habituels réside toutefois dans cette phrase du résumé : «During the 20th century, a significative increase in the number of cyclones has occurred after the 1950s.»
Le dernier rapport du Giec précise ainsi pour l’augmentation de l’activité des cyclones les plus intenses un «degré de confiance faible» pour «les changements à long terme» passés même s’ils sont «quasiment certains en Atlantique nord depuis 1970». Quant à l’avenir, à la fin du siècle, cette augmentation est jugée «plus probable qu’improbable à une échelle régionale et mondiale».
Il n’est donc pas inutile de revenir aux fondamentaux, comme on dit en rugby.
Probabilités
► Il est impossible de tisser un lien de causalité entre un événement météo isolé et une tendance climatique en cours.
► En revanche, une analyse a posteriori, fondée sur un ensemble de simulations numériques explorant les possibles d’un climat inchangé et d’un climat changé permet d’évaluer la probabilité d’occurrence d’un phénomène météo en fonction de ces deux climats. C’est ainsi qu’il a été établi que le changement dû à l’intensification de l’effet de serre avait rendu plus probables les inondations en Grande-Bretagne en 2007. En 2014, une étude statistique du Met Office britannique démontrait qu’un épisode de forte pluie qui avait une chance sur 125 de se produire entre 1960 et 1970 avait une chance sur 85 d’advenir pour les années post 2000. Même démonstration pour la canicule/sécheresse en Russie en 2010. Une étude publiée dans Science en août dernier a montré, par exemple, que sur les 50 dernières années, les dates des crues des rivières et fleuves d’Europe de l’Ouest ont été avancées au printemps en raison du changement climatique.
On saura donc plus tard, lorsque les météorologues et climatologues auront fait ce travail pour la saison cyclonique 2017, si elle porte ou non une « marque probabiliste » dû au changement climatique en cours. Une science totalement opposée à la demande du système médiatique de réponses immédiates : chers lecteurs, vous aurez la réponse à votre question dans quelques mois voire plus.
► Les risques de cyclones plus intenses ou plus fréquents dans un climat plus chaud à la fin du siècle sont mal connus. Leur simulation reste délicate. Un raisonnement simpliste ne faisant appel qu’à l’élévation de la température des cent premiers mètres de l’eau des océans pourrait conclure à l’augmentation de leur fréquence, mais ce n’est pas ce que montrent les simulations numériques. En effet la formation d’un cyclone dépend aussi de l’ensemble de la troposphère et du gradient de température, ainsi que de vents en haute altitude pour son intensification. Or, le réchauffement général modifie peu le profil vertical des températures, le véritable catalyseur des phénomènes cycloniques. Leur nombre pourrait donc ne pas varier, voire baisser un peu avec le réchauffement.
La messe cyclonique future est-elle dite ? Non.
Miracle socio-politique
► D’abord parce que les dégâts des cyclones ne sont pas vraiment déterminés par leur nombre total. Ce qui compte vraiment, ce sont les plus intenses. Le réchauffement de l’atmosphère va la charger de plus de vapeur d’eau (formule de Clausius-Clapeyron), un phénomène actif lors d’un cyclone, générateur d’énergie supplémentaire en raison de la chaleur latente. Donc, plus de pluies dont on a vu les conséquences en Floride.
► Ensuite parce que les dégâts des cyclones lors de l’arrivée sur les terres sont liés au niveau marin. Comme ce dernier va s’élever en raison du changement climatique, les submersions marines vont menacer plus de terrains qu’aujourd’hui, des terrains occupés par l’homme. Lors d’un cyclone, avec la dépression et une marée haute concomitante, le niveau des eaux peut monter de 4 mètres, voire plus. D’autre part, un article paru dans Nature note une extension vers les moyennes latitudes de la zone d’impact des cyclones. Même si ce résultat est préliminaire, les projections les plus hautes des climatologues pour le réchauffement des océans inclinent à penser que cette extension spatiale de la zone à risque est probable.
► Enfin parce que le risque climatique est à la croisée de phénomènes naturels et de la vulnérabilité des sociétés (ou des écosystèmes, mais pour ces derniers on ne peut pas faire grand chose). La destruction totale de la sous-préfecture de Saint Martin par le cyclone Irma montre surtout que même l’Etat français n’a pas été capable de décider de construire un bâtiment résistant à un tel cyclone alors que c’est techniquement possible et que sa durée de vie rend très probable qu’il doive faire face à au moins un cyclone de catégorie 4 ou 5. Or, les évolutions actuelles montrent une augmentation des populations proches des bords de mer et donc vulnérables à ces cyclones.
Pour que le risque cyclonique ne croisse pas avec le changement climatique, il faudrait donc une sorte de miracle socio-politique : que les sociétés menacées conduisent toutes des politiques vigoureuses de protection, qu’elles diminuent leur vulnérabilité par un retrait généralisé des côtes ou d’importants investissements dans des bâtiments très protégés contre l’agression des vents et des eaux. Bref, qu’elles soient anticipatrices, bien gérées, capables de protéger les pauvres autant que les riches, sans élus autorisant des constructions vulnérables (voir la Faute sur Mer…).
Il est donc plus raisonnable de se dire que l’atténuation de cette menace par la maîtrise des émissions de gaz à effet de serre est une nécessité complémentaire des politiques d’adaptation à ce risque qui ne va pas disparaître