Inflation des candidatures à la présidentielle de 2019: candidatures variées, intérêts divers
Plus de trente candidatures à la candidature, le Sénégal rentre dans le club des pays où l’élection présidentielle at- tire le plus de convoitises et aiguise les appétits de politiciens boulimiques. En tout cas, si toutes les candidatures qui se sont déjà déclarées étaient validées, nul doute que le Sénégal battrait le record du monde !
Nous sommes à un peu plus de six mois de la présidentielle et, déjà, on en est à plus de trente de candidatures probables. Aïda Mbodj, Nafissatou Wade, Serigne Moustapha Mbacké Ibn Serigne Cheikh Gaïndé Fatma Mbacké, Cheikh Hadjibou Soumaré, Bougane Guèye Danny, Boubacar Camara, Ngouda Fall Kane, Hamidou Dème, Pierre Goudiaby, Idrissa Seck, Khalifa Sall, Malick Gakou, Karim Wade, Ousmane Sonko, Samuel Sarr, Pape Diop, Abdoulaye Baldé, Habib Sy, Thierno Alassane Sall, Abdoul Mbaye, Cheikh Alassane Sène, Serigne Modou Bousso Dieng, Ansoumana Dione, Professeur Ibrahima Sylla, Ibou Yagou Ndiaye, Moustapha Guirassy, Mamour Cissé, Aïssata Tall Sall, Me Mame Adama Guèye, Issa Sall et Macky Sall… Ce sont là quelques candidatures déclarées — ou non déclarés officiellement — pour briguer la magistrature suprême en février prochain.
La liste est loin d’être exhaustive, bien sûr. Pour le moment, bien sûr, il s’agit tout juste de candidats à la candidature puisque ces messieurs et dames qui ambitionnent de nous diriger devront d’abord franchir la première barrière fatidique du parrainage avant de verser la caution fixée à 30 millions.
Une chose est sûre, le Sénégal entre dans le cercle restreint des pays où l’élection présidentielle connait une inflation de candidats. L’élection présidentielle béninoise de 2016 avait enregistré 33 candidats. Lors de la dernière élection malienne, 24 candidats ont été sur la ligne de départ.
En octobre prochain, 48 candidats seront sur la ligne départ pour solliciter les suffrages des électeurs camerounais. Jusqu’ici, au Sénégal, le nombre de candidats à une présidentielle n’a jamais atteint vingt. Mais il est fort à parier que ce nombre peut être dépassé si le tamis du parrainage ne brise pas la volonté de certains candidats.
Tous ces candidats se disent prêts à en découdre avec le président sortant, Macky Sall. Si certains de par leur pedigree académique, leur carrière professionnelle, leur cursus politique se présentent comme des candidats sérieux avec un projet politique consistant et convaincant, il reste que d’autres se servent de leur candidature pour être mieux servis.
Si on regarde le profil de certains d’entre eux, l’on se rend compte qu’ils ne parviennent pas à construire une audience quantitative et qualitative au-delà de leur famille, de leurs amis et de quelques électeurs soudoyés. Au final, ces candidats fantaisistes sans espoir risquent plus de chauffer l’ambiance de la campagne électorale que de peser sur le cours du scrutin. Du moins, si la guillotine du parrainage ne brise pas leur volonté de se mettre sur la ligne de départ.
Candidats nouveaux, candidats de rupture
A voir ce nombre ahurissant de prétendants déclarés, on peut dire que la prochaine élection présidentielle intéresse aussi bien des politiciens aguerris que des citoyens n’étant encartés dans aucune formation politique.
La plupart d’entre eux sont des novices en matière électorale. On peut citer dans cette catégorie Mme Nafissatou Wade, Cheikh Hadjibou Soumaré, Boubacar Camara, Ngouda Fall Kane, Hamidou Dème, Bougane Guèye Danny. On peut y ajouter Ousmane Sonko et Issa Sall même s’ils ont pris part aux dernières législatives.
La particularité de ces potentiels candidats, c’est qu’ils sont pour la plupart des diplômés de grandes écoles ayant occupé de hautes fonctions au sein de l’Etat. Par conséquent, ils prétendent faire la politique autrement, c’est- à-dire de façon différente de celle qui a toujours été de mise depuis 1960.
Ainsi, ils se présentent comme des candidats de rupture par rapport à la politique socialo-libérale qui a toujours été appliquée alternativement par les régimes successifs de Senghor, Diouf, Wade et Macky. Ce même si les deux premiers se réclamaient du socialisme. Certainement que leurs projets de société seront sous-tendus par un discours axiologique alternatif axé sur les valeurs qui doivent fonder le socle de la République.
Des manœuvres pour émietter l’électorat du PDS Naturellement, parmi les candidats qui parviendront à franchir avec succès l’étape rédhibitoire du parrainage, il y en a qui n’hésiteront pas à soutenir la candidature du président Sall au cas où il y aurait un second tour.
D’ailleurs, il se susurre déjà que la caution de certains candidats, comme lors des législatives, sera versée par le président sortant. C’est donc dire que certains politiciens participent aux joutes présidentielles dans l’unique but de grignoter l’électorat de certains grands partis de l’opposition. N’étant pas dupes, beaucoup de Sénégalais restent sceptiques par rapport aux candidatures de Samuel Sarr, de Mme Aïda Mbodj, de Moustapha Guirassy, de Mamour Cissé et d’Abdoulaye Baldé.
Venant tous du PDS, il est naturel que leur premier grenier électoral reste le PDS, leur famille politique. En cela, ils constituent des éléments fondamentaux pour mordre sur la force électorale du parti d’Abdoulaye Wade. Et cela au bénéfice du candidat Macky Sall.
L’entrée en scène de Pierre Goudiaby, qui se réclame à équidistance du pouvoir et de l’opposition est considérée comme une manœuvre pour endiguer l’électorat casamançais où Ousmane Sonko commence à faire une percée remarquable.
Même la candidature du maire de Ziguinchor, Abdoulaye Baldé, qui aurait dû faire partie des transhumants libéraux ayant rejoint tout dernièrement la mouvance présidentielle, s’inscrit dans cette même logique d’émiettement des voix du leader de Pastef qui jouit de la fibre régionaliste de la région du Sud.
La même suspicion est de rigueur concernant Thierno Bocoum, transfuge de Rewmi, dont la candidature est perçue par beaucoup de Sénégalais comme un subterfuge pour disperser les voix du parti de M. Idrissa Seck, considéré comme le plus sérieux adversaire du président Sall. Et cela même si l’accusé, Thierno Bocoum, se défend toujours avec force arguments d’être un candidat du pouvoir en place.
Suspicion sur les moyens financiers de certains candidats
L’inflation de candidatures peut certes être un signe de dynamisme et de vitalité de la démocratie sénégalaise mais elle met surtout à nu la cupidité, l’immoralité et l’égotisme de certains politiciens qui pensent tirer un profit personnel de toute occurrence électorale.
Si parmi les candidats déclarés, certains présentent un profil sérieux, d’autres par contre sont qualifiés de fantaisistes. Ils ne présentent aucune garantie éthique, intellectuelle ou financière pour solliciter la confiance des électeurs sénégalais. Leur candidature ou leur présence sur la ligne de départ n’est qu’une forme de marchandage électoral pour tirer in fine des subsides de cette élection majeure qu’est la présidentielle.
C’est donc dire qu’ils n’ont pas un projet de société destiné à améliorer le quotidien des Sénégalais mais, plutôt, des projets crypto-personnels pour améliorer leurs conditions de vie. Légitimement, l’on pourrait se demander ce qui motive leur présence sur la ligne de départ. Ils ne pensent pas une seule minute briguer la magistrature suprême. L’élection présidentielle constitue pour eux un fonds de commerce électoral.
Beaucoup de ces candidats figurants espèrent bénéficier plus tard d’un retour sur investissement. Certains éventuels recalés du parrainage n’hésiteront pas à soutenir urbi et orbi la candidature du président sortant dans l’espoir d’un retour d’ascenseur — genre portefeuille ministériel, direction d’une société nationale, ambassade ou marchés publics — en cas de victoire de leur candidat.
Indépendamment des candidatures suspectes, on peut se demander où certains de ces candidats ne travaillant pas comptent-ils trouver les 30 millions de FCFA de caution. A cela s’ajoutent les moyens financiers énormes que requiert une bonne campagne électorale. Il s’agit des dépenses relatives à la communication, au transport, à la logistique, à l’hébergement et à la nourriture de l’équipe de campagne.
A moins qu’on ne soit en présence de candidats qui ne font que des déclarations radio- télévisées sans campagne sur le terrain. Dès lors, il y a de quoi enquêter sur la provenance du financement de ces candidats qui, en réalité, ne le sont que de nom. Certes la loi 81-17 du 6 mai 1981 modifiée par la loi 89-36 du 12 octobre 1989 régule la provenance des fonds des partis politiques mais aucun des partis (à commencer par celui qui est au pouvoir et ceux qui y ont été) ne respecte cette disposition légale. C’est ce qui explique pourquoi certains candidats mènent illégalement des campagnes à l’américaine alors qu’on ne leur connait aucune fortune ni par le travail ni par l’héritage.
In fine, certains candidats incarnent la rupture tous azimuts, d’autres la continuité. Duquel des deux groupes sortira le vainqueur de la présidentielle de 2019 ? Seul le peuple souverain en décidera le 24 février prochain !
Serigne Saliou Guèye