Au moment de présenter le budget 2025 de l’État hébreu en septembre dernier, Bezalel Smotrich, le ministre israélien des Finances – issu de l’extrême droite –, a déclaré : « Nous sommes dans la guerre la plus longue et la plus coûteuse de notre histoire (…). Nous soutiendrons cet effort jusqu’à la victoire… Sans ça, il n’y aura pas de sécurité, et sans sécurité, il n’y aura pas d’économie. »
Depuis les attaques du Hamas le 7 octobre 2023, Israël s’est engagé dans trois guerres : celle toujours en cours dans la bande de Gaza, une au Liban en 2024, et désormais celle contre l’Iran. Ce à quoi s’ajoutent les dépenses de défense d’Israël, notamment pour intercepter les missiles, drones et autres roquettes.
Le coût direct de la guerre concernant Gaza et le Liban, jusqu’à la fin 2024, est estimé par la Banque d’Israël à plus de 42 milliards d’euros*, « auxquels s’ajoutent environ 7,5 milliards d’euros de pertes de recettes fiscales », explique Michael Ben-Gad, professeur d’économie à City St George’s, University of London. « Sur ce total, les coûts militaires immédiats représentent près de 30 milliards d’euros. »
Pour l’année en cours, la banque centrale israélienne « estime que le coût s’élève à plus de 21 milliards d’euros », détaille l’expert. La guerre déclenchée la semaine dernière avec l’Iran coûterait, quant à elle, 630 millions d’euros par jour à Israël, selon un ancien haut responsable de la Défense.
De manière plus générale, la Banque d’Israël a estimé que l’effort de guerre coûterait plus de 62 milliards d’euros entre 2023 et 2025 toutes dépenses confondues – coûts militaires, besoins civils et pertes de revenus fiscaux.
Armements, réservistes et impact sur l’économie israélienne
Ces estimations donnent une indication globale des sommes d’argent colossales engagées par Israël, mais « ces dépenses sont difficiles à établir précisément », explique Nadine Baudot-Trajtenberg, économiste et ancienne sous-gouverneure de la Banque d’Israël.
Le plus gros de ces dépenses se trouve dans les « coûts budgétaires ». Ce sont les principales sorties d’argent de l’État hébreu en matière d’armements et de réservistes. Ces derniers ont été 360 000 à être mobilisés dès octobre 2023 et chaque réserviste coûte environ 250 euros par jour à Israël, selon les données officielles. Sur près de deux ans, leur coût théorique revient donc à environ 55,5 milliards d’euros.
« Si on regarde les dépenses de défense en pourcentage du PIB israélien, elles ont doublé, passant de 4,5 % à 9 % en 2024, par rapport aux années précédentes », précise Nadine Baudot-Trajtenberg.
Viennent ensuite les dépenses qui ont « un impact sur l’économie », poursuit la spécialiste israélienne : « L’activité économique est plus modérée qu’elle ne devrait l’être, surtout dans les domaines du tourisme et de la construction – ce dernier nécessitant un grand nombre de travailleurs palestiniens. » Ces travailleurs ont été 150 000 à voir leur permis de travail suspendu par Israël après le 7-Octobre.
Ces dépenses globales ont entraîné une perte pour l’économie israélienne qui « peut se mesurer par environ deux années de croissance perdues – elle a essentiellement stagné au lieu de croître », précise Michael Ben-Gad. Même son de cloche auprès de Nadine Baudot-Trajtenberg, qui ajoute qu’Israël « est à 4 % de moins que si l’économie avait continué sur la même trajectoire pré-octobre 2023 ».
Pour soutenir ces dépenses militaires et civiles conséquentes, l’État hébreu dispose d’une multiplicité de financements. D’abord sur les marchés : depuis le début de la guerre à Gaza, Israël a levé près de 90 milliards d’euros – l’immense majorité localement et près d’un quart au niveau mondial. « La capacité d’Israël à lever des dettes à grande échelle est le résultat d’un marché de capitaux sophistiqué et profond, d’une économie forte et d’un système financier stable », a déclaré à ce sujet le comptable général d’Israël, Yali Rothenberg.
Par ailleurs, la situation économique de l’État hébreu n’était pas des plus inconfortables avant octobre 2023. « Israël est entré dans cette période (de guerre) avec de très forts coussins d’absorption de chocs », note Nadine Baudot-Trajtenberg. « Il avait une dette du secteur public relativement basse, à 63 % du PIB, des réserves étrangères très élevées à la banque centrale israélienne – ce qui explique la faible dévaluation de la monnaie – et aussi un compte courant toujours positif depuis plus de 20 ans. Donc Israël est un créancier pour le reste du monde et non l’inverse. »
Le pays a aussi émis des obligations d’État. Ce mécanisme de vente sophistiqué a notamment permis d’acheminer des milliards de dollars des gouvernements des États américains – comme la Floride – et des collectivités locales américaines vers Israël, selon le Consortium international des journalistes d’investigation.
Les États-Unis participent aussi activement au financement de l’effort de guerre israélien en apportant une aide militaire conséquente. En un an (7 octobre 2023-30 septembre 2024), Washington a dépensé au total au moins 22,76 milliards de dollars – près de 20 milliards d’euros – en aide militaire à Israël et pour des opérations américaines au Moyen-Orient, notamment contre les Houthis au Yémen, selon le centre de recherche américain Watson Institute for International and Public Affairs.
Israël s’appuie enfin sur ses recettes publiques, notamment sur la fiscalité des contribuables israéliens. « En 2023, la fiscalité directe (principalement l’impôt sur le revenu, NDLR) a rapporté environ 60 milliards d’euros », détaille Michael Ben-Gad. « La fiscalité indirecte (surtout la TVA) a quant à elle généré près de 42 milliards d’euros. »
Et sur ce sujet, la classe politique israélienne est divisée. Alors que le ministre des Finances s’est récemment résolu à relever la pression fiscale – en augmentant les impôts et la TVA en 2025 – pour faire face à la croissance des dépenses militaires et combler le déficit de l’État, des voix redoutent que l’existence du secteur public israélien ne soit menacé.
Fin mai, la professeure Karnit Flug, ancienne gouverneure de la Banque d’Israël et chercheuse à l’Institut israélien de la démocratie, a averti le gouvernement israélien : « Il existe un risque d’effondrement, car si les services publics continuent de se détériorer, nous nous retrouverons à la traîne des pays développés en matière de qualité des soins de santé, d’éducation, d’infrastructures et de recherche et développement. »