Bombardier : Londres menace les Etats-Unis d’une guerre commerciale
Londres s’est dit «amèrement déçu» par la décision américaine d’imposer des tarifs astronomiques sur un avion Bombardier construit en partie en Irlande du Nord et évoque des représailles sur Boeing.
Comme quoi, se balader main dans la main sous les colonnes de la Maison Blanche, clamer à tous vents que les accords de libre-échange sont d’une simplicité désarmante et revendiquer la persistance de la fameuse «relation spéciale» entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni ne suffisent pas. La Première ministre britannique Theresa May s’est dit mercredi «amèrement déçue» par la décision des Etats-Unis d’imposer des tarifs douaniers astronomiques sur l’avion C-Series de Bombardier. Le constructeur aéronautique canadien se trouve être l’un des plus gros employeurs en Irlande du Nord, où sont fabriquées les ailes de l’avion. Plus de 4 500 emplois directs dans l’usine de Belfast sont concernés. En tout, plus de 10 000 emplois, notamment chez toute une série de sous-traitants, pourraient être menacés dans la région.
L’annonce a fait l’effet d’un coup de tonnerre. Les Etats-Unis ont annoncé vouloir imposer une taxe d’importation de 220% sur le C-Series, ce qui, de fait, triplerait le prix d’achat du transporteur, prévu pour des courts courriers. Le géant américain Boeing avait porté plainte pour concurrence déloyale, estimant que Bombardier avait bénéficié de renflouements des gouvernements canadien et britannique. Ce qui, selon Boeing, lui a permis de vendre 75 de ses avions à la compagnie régionale américaine Delta Air Lines, pour 4,8 milliards d’euros.
Concurrencer Airbus et Boeing
Le C Series (ou CS100) a été conçu pour concurrencer directement les petits transporteurs des compagnies américaine Boeing et européenne Airbus. La décision américaine n’est pas finale et pourrait évoluer d’ici le début de l’année prochaine. La Commission américaine sur le Commerce International devra se prononcer début 2018 sur la question de savoir si la vente du CS100 menace d’une manière ou d’une autre les manufacturiers américains. Dans un communiqué, Delta s’est dit confiant dans la mesure où «ni Boeing, ni aucun avionneur américain ne fabriquent d’avion de 100 à 110 sièges comparable au CS100».
Theresa May avait exprimé ses inquiétudes à Donald Trump lors d’un coup de téléphone le mois dernier et avait abordé à nouveau le sujet la semaine dernière lors de l’assemblée générale des Nations unies à New York. Juste avant, elle s’était entretenue de la situation avec le Premier ministre canadien Justin Trudeau.
L’usine en Irlande du Nord a ouvert en 2013 et reçu du gouvernement britannique des prêts et fonds d’un montant total de 134 millions de livres (153 millions d’euros). Le ministre à l’Irlande du Nord, James Brokenshire, a estimé que le soutien financier du gouvernement britannique «pour le projet C Series est légitime, légal et dans le cadre des règles de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) et par conséquent ces actions n’ont pas lieu d’être».
Un coup à l’autorité de May
Le ministre britannique de la Défense Michael Fallon a ajouté de l’huile sur le feu en signalant que l’imposition d’énormes taxes d’importation sur les avions de Bombardier pourrait «gêner les futurs contrats de défense» avec Boeing. «Boeing est un partenaire majeur en matière de défense […] et ce n’est pas le genre d’attitude que nous attendions de la part d’un partenaire au long terme», a-t-il dit. «Boeing a beaucoup à gagner avec les dépenses britanniques en termes de défense», a-t-il ajouté. Le gouvernement conservateur britannique, empêtré dans les très complexes négociations sur le Brexit, se retrouve à menacer les Etats-Unis, ou en tout cas Boeing, d’une guerre commerciale. Voilà qui augure mal des prochains accords de libre-échange post-Brexit tant vantés depuis des mois par le ministre au Commerce extérieur Liam Fox.
Cette annonce représente une atteinte supplémentaire à l’autorité de Theresa May, largement entamée depuis la perte de sa majorité parlementaire aux élections anticipées du 8 juin. Son gouvernement dépend crucialement des voix des dix députés du petit parti nord-irlandais DUP (Democratic unionist party). La cheffe de ce parti, Arlene Foster, avait personnellement demandé à Theresa May d’intervenir auprès de Donald Trump pour garantir la survie de l’usine Bombardier à Belfast.