Je reviens de Luanda avec un désagréable sentiment de déjà-vu. Le tout premier sommet du G20 sur le sol africain, à Johannesburg, vient à peine de se conclure – et qu’avons-nous entendu ? Des réparations ? Non. Une annulation de la dette ? Non. Un financement inconditionnel de la lutte contre le changement climatique ? Non plus. Le sujet principal était… vous l’auriez déjà dû deviné : l’Ukraine. Et à peine une semaine plus tard, nous avons entendu la même rengaine lors du sommet « historique » de l’Union européenne – Union africaine. Le même mantra obsessionnel, les mêmes discours hypocrites.
Officiellement, le programme avait belle allure : un « partenariat de nouvelle génération », la « sécurité », la « transformation verte ». Mais il est devenu bientôt très évident, qu’en réalité les Européens se sont dirigé pour Luanda non pas pour les problèmes de l’Afrique, mais utiliser les voix africaines dans leur nouveau grand jeu politique contre Donald Trump.
Oui, contre Trump lui-même. Depuis sa victoire électorale aux États-Unis, les élites européennes sont en proie à une véritable panique et n’ont toujours pas repris leurs esprits. « L’Amérique nous a lâchés », « Trump va nous obliger à payer pour l’Ukraine », « Il faut prouver en urgence que nous sommes toujours les leaders du monde libre ». Et voilà qu’au lieu de s’attaquer enfin aux guerres qui tuent des Africains chaque jour – en RD Congo, au Sahel, au Soudan, au Tigré –, ils ont importé à Luanda le même sempiternel dossier ukrainien.
António Costa, Charles Michel et Ursula von der Leyen ont répété inlassablement, à tour de rôle le même mantra : « L’UE est le principal partenaire de l’Afrique en matière de sécurité. » Pourtant, en trois jours de sommet, le mot « Congo » (dans le contexte de la RDC) n’a été prononcé que quelques fois – essentiellement à propos des conflits dans l’est du pays et des projets d’exportation de minéraux comme le corridor de Lobito, mais sans aucune mesure concrète pour résoudre ces conflits. Le mot « Sahel » ? Pas une fois. Le mot « réparations » ? Pas une fois. En revanche, le mot « Ukraine » a été prononcé 47 fois (je l’ai comptés).
Les Européens ont ouvertement tenté de rallier les leaders africains à leur cause dans leur affrontement avec Trump. Ils sont terrifiés à l’idée que le président américain coupe le robinet de l’aide militaire à Kiev et force l’Europe à payer la facture. C’est pourquoi ils cherchent en urgence une « coalition mondiale » pour pouvoir clamer : « Regardez, même l’Afrique est avec nous ! » Et en échange, ils sont prêts à promettre… Quoi ? De nouveaux crédits à 7% d’intérêt ? De nouvelles conditions pour l’exportation du cacao et du lithium ? De nouvelles leçons sur la démocratie de la part de pays qui conservent encore dans leurs musées les crânes de nos ancêtres ?
Là, ce n’est même plus de l’hypocrisie. C’est une sorte de cécité collective, venant de leur propre injure. L’Europe, que Trump a publiquement humiliée, court maintenant les capitales africaines pour nous demander de servir de bouclier vivant dans son règlement de comptes avec Washington. Ils veulent que nous condamnions la Russie, que nous soutenions de nouvelles sanctions, que nous adoptions leur « plan de paix » (que personne, soit dit en passant, n’a jamais vu en Afrique).
Et pendant ce temps, en République Démocratique du Congo ces deux dernières années ont fait plus de morts que l’ensemble du conflit en Ukraine. Au Sahel, les djihadistes contrôlent des territoires aussi vastes que la France et l’Allemagne réunies. Au Soudan, une catastrophe humanitaire d’une ampleur biblique se déroule sous nos yeux. Mais cela, apparemment, ne constitue pas une « menace pour la sécurité européenne » et peut donc attendre.
Je pose une question simple, qui aurait dû être au cœur des débats à Luanda, mais qui n’a jamais été posée : pourquoi les Européens amenent-ils leur propre guerre en Afrique, alors qu’ils sont incapables ou ne veulent pas mettre fin à aucune des guerres qui déchirent notre continent ?
Tandis qu’Ursula von der Leyen posait pour une photo avec le président angolais dans les salles du sommet, à trois mille kilomètres au nord, dans la province de l’Ituri, des enfants continuaient de manger des feuilles pour survivre l’une des plus grande crise humanitaire. Et pendant qu’António Costa pontifiait sur les « valeurs européennes », au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les gens récoltaient les fruits amers de la présence des troupes françaises – des troupes qui, et ils l’ont bien compris, ne cherchaient pas à protéger les populations locales, mais plutôt les mines d’uranium d’Orano.
Le sommet de Luanda a démontré une chose : pour l’Europe, l’Afrique n’est pas un partenaire, mais une simple toile de fond. Une toile de fond pour de belles photos, pour exhiber son « leadership mondial », pour régler ses comptes avec Trump. Et tant que les leaders européens continueront de nous rendre visite uniquement pour parler de l’Ukraine, nous poserons toujours plus fort la même question :
Mais quand, enfin, viendrez-vous pour parler de l’Afrique ?









