Les milices se multiplient au Soudan, nouveau danger pour le pays en guerre
Mohamed Idris, 27 ans, désespérait de trouver un jour un emploi dans un Soudan déchiré par la guerre. Il a finalement jeté son dévolu sur un camp d’entraînement à la frontière érythréenne, dans l’espoir de rejoindre une milice.
« J’ai obtenu mon diplôme universitaire mais il n’y a pas d’opportunités d’emploi. Si j’entre dans un camp d’entraînement, je pourrai au moins défendre mon pays et mon peuple », explique-t-il à l’AFP depuis Kassala, la grande ville de l’est du Soudan la plus proche de la frontière.
Kassala, comme Gedaref située à 200 kilomètres plus à l’ouest, ont été épargnées par les combats entre les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), dirigées par le général Mohamed Hamdane Daglo, et l’armée, conduite par le général Abdel Fattah al-Burhane, dirigeant de facto du pays.
Accueillant des centaines de milliers de déplacés du reste du Soudan, ces deux villes voient désormais des convois de 4×4 équipés d’armes anti-aériennes sillonner les rues, chargés de jeunes hommes brandissant des fusils d’assaut, d’après des correspondants de l’AFP.
Comme Mohammed Idris, ils font partie d’une génération à l’avenir bouché par la guerre qui a commencé en avril 2023, et constituent un vivier pour les nouveaux groupes armés, qui se forment notamment selon des lignes ethniques et tribales.
« Les forces que je veux rejoindre sont celles de ma tribu et ma famille », souligne M. Idris.
Selon Fayçal Mohammed Saleh, ancien ministre de la Culture et analyste politique soudanais, « ces groupes n’ont pas encore rejoint la mêlée dans la guerre ». « Mais il est à craindre qu’ils s’y préparent », déclare-t-il à l’AFP.
– Des milices établies –
Le Soudan, qui n’a connu que de brefs intermèdes de régime civil depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1956, abrite quantité de groupes armés, dont certains ont la capacité d’une petite armée.
Pendant des décennies, nombre d’entre eux ont combattu le pouvoir central de Khartoum, affirmant défendre les droits de minorités ethniques ou des régions marginalisées.
En 2020, la plupart ont signé l’accord de paix de Juba avec Khartoum, et plusieurs de leurs chefs ont rallié le gouvernement du général Abdel Fattah al-Burhane.
Au début de la guerre, « nombre de ces groupes étaient neutres, mais ont depuis déclaré leur allégeance à l’armée », au côté de laquelle ils combattent, explique à l’AFP Qusay Hamrour, chercheur en politique soudanaise. D’autres « ont hésité, avant de se rallier aux FSR ».
Selon M. Saleh, la nouveauté « ce sont les groupes soudanais de l’est, dont la plupart s’entraînent en Erythrée ».
Des témoins oculaires ont rapporté à l’AFP en début d’année que des combattants soudanais s’entraînaient dans au moins cinq camps dans le pays voisin, qui n’a pas commenté ces allégations.
Des groupes pro-armée ont eux-mêmes affirmé s’entraîner de l’autre côté de la frontière.
– Fidèles à personne –
Historiquement, bien que les milices ethniques ou tribales « puissent s’allier à l’armée régulière, elles restent essentiellement indépendantes », relève Amir Babiker, auteur du livre « La Paix au Soudan: un bourbier de milices et armées irrégulières ».
Khartoum s’appuie depuis longtemps sur des groupes armés pour mener ses guerres dans d’autres régions du Soudan. Les Janjawids, ancêtres des FSR, qui ont commis des atrocités de masse au Darfour dans les années 2000 à la demande du président de l’époque, Omar el-Béchir, en sont l’exemple le plus désastreux.
Aujourd’hui, l’armée dépend à nouveau « des milices pour sécuriser le territoire », ce qui ne fera que « renforcer ces groupes, les rendant impossibles à contourner à l’avenir », dit à l’AFP M. Babiker.
D’autant que, selon l’International Crisis Group, « les deux principaux belligérants sont aux prises avec des problèmes de commandement et de contrôle » de leurs troupes.
Le général Burhane « risque de perdre son emprise sur les différentes factions » sur lesquelles il s’appuie, et les FSR sont « un assortiment de plus en plus hétéroclite de milices tribales et de seigneurs de guerre », selon un rapport en mai du centre de recherche.
« La multiplication des groupes alignés sur les parties belligérantes, chacun poursuivant ses propres intérêts, rend de plus en plus difficiles à manier » les coalitions rivales, dit le groupe.
En octobre, Abou Aqla Kaykal, un commandant des FSR et chef d’un groupe armé du centre du Soudan, a rompu avec les paramilitaires, et aurait fait passer ses combattants du côté de l’armée, dans ce qui serait la première défection de haut niveau de la guerre.