L’enfer vécu par les migrants bloqués en Libye

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Si l’enfer existe, alors il ressemble probablement à un salon de thé, comparé à ce que vivent les migrants bloqués en Libye, dans leur quête de l’eldorado européen. Pour certaines ONG, cette triste réalité est du fait de la mauvaise politique migratoire qui prévaut entre l’Europe et la Libye, qui défendent chacune sa chapelle. Voici dans cet article certaines des situations cauchemardesques que subissent ces candidats malheureux au bonheur.

Des vidéos réalisées par une journaliste irlandaise et diffusée en février par Channel 4 montrent des migrants détenus dans des prisons clandestines libyennes. Ces centres de détention d’une précarité moyenâgeuse, qui appartiennent à des trafiquants d‘êtres humains, renferment des migrants pour la plupart originaires d’Afrique noire. Parmi ces prisonniers, de nombreux Somaliens, Érythréens et Soudanais notamment, qui fuient leur pays d’origine afin d‘échapper à la guerre, aux persécutions ou encore, à la misère omniprésente.

Dans les lugubres prisons libyennes, les migrants détenus servent, entre autres, de marchandise. Leurs geôliers les maintiennent en prison afin de forcer leurs familles à verser une rançon. Et les choses ne se passent pas en douceur. Les trafiquants d‘être humains donnent bien l’impression d‘être dénués de tout sentiment dans leur acharnement contre les migrants et les cas de maltraitance humaine sont légions.

Les morts s’empilent dans ces centres de détention libyens, emportés par une épidémie de tuberculose…

Des cas comme celui de ce migrant allongé nu par terre, le canon d’une arme à feu collé contre lui et se faisant brûler les pieds avec du chalumeau. Suspendu au plafond, le t-shirt en sang (signe d’un violent passage à tabac), un autre migrant est lui aussi menacé avec une arme. Toujours dans ces mêmes vidéos, l’on peut y voir un troisième infortuné attaché, pieds et bras sous le poids d’une brique de béton, se faire fouetter sur la plante des pieds.

Des milliers de migrants détenus en Libye

L’ONU estime le nombre de personnes ramenées et jetées dans les centres de détention en Libye à 2.300, depuis le mois de janvier de cette année.

Julien Raickman, chef de mission de Médecins sans frontières (MSF) en Libye : “Plus d’un millier de personnes ont été ramenées par les garde-côtes libyens, soutenus par l’Union européenne depuis le début du conflit en avril 2019. A terre, ces personnes sont ensuite transférées dans des centres de détention comme celui de Tajoura…”

D’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), ce sont au moins 5.200 migrants qui croupissent dans ces centres sordides. Mais quant à connaître le nombre de détenus dans les prisons clandestines aux mains des trafiquants d‘êtres humains, c’est le black-out total.

Des ONG travaillant en Libye se sont indignées en mai dernier, s’adressant à l’UE et à ses Etats membres Parmi ces ONG, Danish Refugee Council, International Rescue Committee, Mercy Corps et Première Urgence Internationale (PUI). Pour elles, l’UE doit “revoir en urgence” ses politiques migratoires qui nourrissent (selon elles) un “système de criminalisation”.

Poursuivant leur cri de détresse, les ONG ont souligné que les migrants, “y compris les femmes et les enfants, sont sujets à des détentions arbitraires et illimitées” dans des circonstances “abominables”.

Dans la même lancée, Benjamin Gaudin, le chef de mission de l’ONG PUI en Libye, s’est exclamé en ces termes : “Arrêtez de renvoyer les migrants en Libye ! La situation est instable, elle n’est pas sous contrôle ; ils n’y sont, en aucun cas, protégés ni par un cadre législatif ni pour les raisons sécuritaires que l’on connaît.”

Accès à l’eau improbable, nourriture insuffisance

La “catastrophe ne se situe pas seulement en Méditerranée, mais également sur le sol libyen. Quand ces migrants parviennent jusqu’aux côtes libyennes, ils ont déjà vécu l’enfer”, ajoute Benjamin Gaudin avant de préciser que dans certains de ces centres officiels, “les conditions sont terribles”.

Mais Benjamin Gaudin ne s’arrête pas là : “Les migrants vivent parfois entassés les uns sur les autres, dans des conditions sanitaires terribles avec de gros problèmes d’accès à l’eau. Parfois, il n’y a pas d’eau potable du tout. Ils ne reçoivent pas de nourriture en quantité suffisante. Dans certains centres, il n’y a absolument rien pour les protéger du froid ou de la chaleur. Certains n’ont pas de cours extérieures, les migrants n’y voient jamais la lumière du jour.”

Après avoir obtenu le droit d’accéder à de nombreux centres de détention en Libye en 2018, l’ONG Human Rights Watch (HRW) n’est pas passée par quatre-chemins pour donner sa conclusion sur le sujet. Dans son rapport paru cette année qui porte le nom de “Personne n‘échappe à l’enfer”, HWR accuse la “coopération de l’UE avec la Libye sur les migrations de contribuer à un cycle d’abus extrêmes”.

Julien Raickman s’attarde sur les risques de maladies : “Les morts s’empilent dans ces centres de détention libyens, emportés par une épidémie de tuberculose à Zintan, victimes d’un bombardement à Tajoura. La présence d’une poignée d’acteurs humanitaires sur place ne saurait assurer des conditions acceptables dans ces centres.”

Et d’ajouter : “Les personnes qui y sont détenues, majoritairement des réfugiés, continuent de mourir de maladies, de faim, sont victimes de violences en tout genre, de viols, soumises à l’arbitraire des milices. Elles se retrouvent prises au piège des combats en cours.”

Le 18 juin dernier, s’inquiétant de la situation des migrants en Libye, Dunja Mijatović, la Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, est allée jusqu‘à demander aux pays européens de suspendre leur coopération avec les gardes-côtes libyens. Pour la Commissaire, les migrants récupérés par ces gardes-côtes “sont systématiquement placés en détention et en conséquence soumis à la torture, à des violences sexuelles, à des extorsions”.

Bien avant elle, l’ONU dénonçait le 7 juin de cette année des conditions “épouvantables” dans ces centres. “Environ 22 personnes sont décédées des suites de la tuberculose et d’autres maladies dans le centre de détention de Zintan depuis septembre”, fait savoir Rupert Colville, l’un des porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme.

MSF a récemment entamé des visites médicales dans les centres de Zintan et Gharyan, décriant une “catastrophe sanitaire” et ajoutant que les migrants qui y vivent “viennent principalement d’Erythrée et de Somalie et ont survécu à des expériences terrifiantes” au cours de leur périlleux voyage.

Quand les responsabiltés sont partagées

D’après les ONG, les migrants qui vivent l’enfer libyen ont pourtant (pour la plupart d’entre eux) droit au statut de réfugié dans les pays développés, ce qui n’est pas le cas en Libye. Ils effectuent leur demande auprès du HCR pour obtenir ce précieux statut en Libye, bravant toutes formes de difficultés.

Selon M. Raickman, “Les évacuations hors de Libye vers des pays tiers ou pays de transit sont aujourd’hui extrêmement limitées, notamment parce qu’il manque des places d’accueil dans des pays sûrs qui pourraient accorder l’asile”.

“Il y a un fort sentiment de désespoir face à cette impasse dans des centres où nous intervenons dans la région de Misrata et Khoms. Des gens sont enfermés depuis un an.”, ajoute-t-il

Interrogée par nos confrères de l’AFP (Agence France presse), la Commission européenne se satisfait de son bilan. Elle brandit la thèse de son “engagement” financier, rappelant à tous vents avoir “mobilisé” au moins 338 millions d’euros dans des programmes liés à la migration en Libye, et ce , depuis 2014.

Natasha Bertaud, un des porte-paroles de la Commission européenne : “Nous sommes extrêmement préoccupés par la détérioration de la situation sur le terrain. Des critiques ont été formulées sur notre engagement avec la Libye, nous en sommes conscients et nous échangeons régulièrement avec les ONG sur ce sujet.”

Et de faire un clin d‘œil aux partenaires de l’UE sur la brûlante question : “Mais si nous ne nous étions pas engagés avec l’OIM, le HCR et l’Union africaine, nous n’aurions jamais eu cet impact. Ces 16 derniers mois, nous avons pu sortir 38.000 personnes hors de ces terribles centres de détention et hors de Libye, et les raccompagner chez eux avec des programmes de retour volontaire, tout cela financé par l’Union européenne.’‘

Natasha Bertaud, continuant dans sa lancée, ajoute : “Parmi les personnes qui ont besoin de protection – originaires d’Erythrée ou du Soudan par exemple – nous avons récemment évacué environ 2.700 personnes de Libye vers le Niger (…) et organisé la réinstallation réussie dans l’UE de 1.400 personnes ayant eu besoin de protection internationale.’‘

La porte-parole termine son intervention par ce qui ressemble à un coup de gueule, laissant entendre que la Commission a “à maintes reprises ces derniers mois exhorté ses Etats membres à trouver une solution sur des zones de désembarquement, ce qui mettrait fin à ce qui passe actuellement : à chaque fois qu’un bateau d’ONG secourt des gens et qu’il y a une opposition sur le sujet entre Malte et l’Italie, c’est la Commission qui doit appeler près de 28 capitales européennes pour trouver des lieux pour ces personnes puissent débarquer, ce n’est pas viable !”.

Le général Ayoub Kacem est le porte-parole de la marine libyenne. Lui aussi interrogé par l’AFP, il s’exprime sur la question, rejetant la faute sur l’UE. Pour lui, ce sont “les pays européens (qui) sabotent toute solution durable à l’immigration en Méditerranée, parce qu’ils n’acceptent pas d’accueillir une partie des migrants et se sentent non concernés”. Au passage, le général Kacem exhorte l’UE à “plus de sérieux” et à l’unification des positions autour de la situation.

Julien Raickman le rejoint dans cette prise de position, arguant que “Les États européens ont une scandaleuse responsabilité dans toutes ces morts et ces souffrances. Ce qu’il faut, ce sont des actes, des évacuations d’urgence des réfugiés et migrants coincés dans des conditions extrêmement dangereuses en Libye”.

Les déboires des migrants ont connu un pic dans la nuit de mardi à mercredi, lorsque l’un de leurs camps situé à Tajoura (près de Tripoli) a été touché par une frappe aérienne attribuée aux forces du maréchal Haftar. Pas moins de 44 migrants ont été tués. L’ONU n’a pas hésité à qualifier ce massacre de ‘‘crime de guerre’‘, demandant par la même occasion une ‘‘enquête indépendante’‘. A ce propos, le Conseil de sécurité (de l’ONU) doit se réunir mercredi prochain pour en débattre.

L’Union européenne, dans sa volonté de freiner, voire, mettre fin à l’immigration clandestine sur son sol, a opéré en 2017 un deal avec la Libye. Les gardes-côtes de ce pays d’Afrique du Nord ont pour rôle de stopper l’avancée des candidats à l’Europe. Cette initiative semble payer, le nombre de migrants qui passent par la Méditerranée ayant chuté de façon significative.

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