Le Président risque de se tromper seul (Par Madiambal Diagne)
Le Président Macky Sall a eu à se barricader dès le lendemain de sa réélection, à l’issue du scrutin du 24 février 2019. Ses plus proches collaborateurs n’avaient plus aucune possibilité d’accéder à lui directement et même les échanges téléphoniques ou par autres types de messagerie, devenaient de plus en plus rares.
S’ils arrivaient à le joindre pour une urgence quelconque, les échanges restaient les plus laconiques. D’aucuns commençaient à se demander ce qui n’allait vraiment pas. Le Président Sall a eu à faire un séjour aux Emirats Arabes unis (13 au 15 mars 2019) avant de passer quelques jours au Maroc (15 au 24 mars 2019) après avoir libéré toute son équipe de collaborateurs. L’homme avait sans doute besoin de quelques moments de farniente mais aussi, il laissait entendre qu’il mettrait à profit sa retraite pour réfléchir sur ce qu’il comptait faire de son second mandat à la tête du Sénégal.
La situation commençait à être pesante au point que certains gros pontes du régime du Président Sall cherchaient des voies détournées pour s’informer sur les intentions du Président ou plus trivialement, pour savoir « à quelle sauce ils seront mangés ». Certains commençaient à manifester des états d’âme d’agacement ou d’exaspération. C’est comme si le Président ne faisait plus confiance à son monde, pensaient certains. D’autres fulminaient, disant qu’il (Macky Sall) pouvait se le permettre puisqu’il semble faire comme s’il n’aurait plus besoin de personne, une fois sa réélection assurée. C’est dire que le temps commençait à être long. De retour au Sénégal, de son séjour de repos au Maroc, « l’ermite de Marrakech » se mua en « reclus de Mermoz ».
Franchement, les quelques personnes qui ont pu lui parler ont pu juger que la situation semblait amuser le chef de l’État. Les médias continuaient de faire leurs choux gras sur le « suspense » entretenu par le Président Sall. L’expérience a peut-être le mérite, qu’aucune fuite sérieuse n’avait pu être relevée dans les médias sur les intentions du Président Macky Sall.
Seulement, on constatera, avec les atermoiements sur la démission et la nomination du Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne le 5 avril 2019 et mieux encore avec la formation du nouveau gouvernement le 7 avril 2019, qu’en vérité le Président Sall n’avait pas totalement fini sa réflexion. On peut dire que, bien avant l’élection du 24 février 2019, le Président Macky Sall posait un diagnostic lucide sur les tares et limites de sa gouvernance et de ses équipes et promettait un style nouveau et un chamboulement gouvernemental. Les premières décisions traduisent certes cette résolution mais ne manquent pas de susciter quelques réserves, doutes, inquiétudes et appréhensions.
L’illusion de prendre le vote du 24 février 2019 comme un blanc-seing
Macky Sall se veut, pour son deuxième mandat, comme un « super président ». Il a été réélu de fort belle manière avec un taux de participation historique (66,2%) et une majorité confortable (58,2%). Il se résout donc à se retrousser les manches, suivre lui-même les dossiers et pouvoir interpeller directement les membres de son gouvernement. Il voudrait accélérer la cadence des activités du gouvernement. « Accélérer la cadence » semble être un leitmotiv pour le Président Sall.
Déjà, en nommant Mme Aminata Touré au poste de Premier ministre le 1er septembre 2013, il annonçait la couleur en lui indiquant comme feuille de route « l’accélération des actions du gouvernement ». Aminata Touré prenait le service après Abdoul Mbaye, se disant consciente « de prendre le bâton pour poursuivre la course pour le développement et pour l’amélioration des conditions d’existence de nos concitoyens ». A une autre étape de cette course de relais, Mahammed Boun Abdallah Dionne s’ébranla le 7 juillet 2014, en disant lui aussi recevoir pour consigne de se mettre « au travail, avec célérité et diligence ».
Cinq bons tours de calendrier après, Mahammed Dionne est reconduit Premier ministre avec l’unique mission de préparer la suppression du Poste de ministre. En effet, le Président voudrait aller encore plus vite, toujours plus vite, et pour ce faire, sa trouvaille est de supprimer le poste de Premier ministre. Le Président Sall entend donc tenir d’une main le chrono et de l’autre le bâton du relais. Une réforme de cette nature n’est pas une première au Sénégal. Léopold Sédar Senghor l’avait expérimentée de 1963 à 1970 et Abdou Diouf de 1983 à 1991.
Les contextes politiques ou institutionnels et les raisons qui avaient guidé ses prédécesseurs vers un tel choix sont bien différents mais Macky Sall a décidé de la tenter. D’emblée, on peut être circonspect sur la manière dont la réforme a été annoncée. L’annonce a eu l’effet d’une grosse surprise d’autant que le Président Sall avait toute la latitude de mettre, d’une façon ou d’une autre, la question dans le débat de la dernière élection présidentielle. Ainsi, la réforme aurait été perçue a priori comme ayant déjà reçu l’onction du Peuple souverain par le vote confirmatif du Président Sall, le 24 février 2019.
Mais aujourd’hui, on peut avoir le sentiment qu’il y a eu dol ou tromperie ou un quelconque vice caché dans le choix des électeurs. C’est seulement, le jour de sa prestation de serment, le 2 avril 2019, que le Président Sall, de manière sibylline, a indiqué qu’il « compte saisir l’Assemblée nationale afin qu’elle accompagne les changements dans la gouvernance de l’Exécutif pour un meilleur suivi des politiques publiques ». Les rares personnes qui avaient eu l’occasion, quelques mois auparavant, d’entendre le Président Sall réfléchir à haute voix sur l’éventualité de la suppression du poste de Premier ministre, pouvaient difficilement trouver dans cette phrase la confirmation de la matérialisation de l’idée présidentielle. Surtout que le lendemain, dans son allocution traditionnelle à la Nation, pour la fête de l’Indépendance, le Président Sall n’a pipé mot de ses intentions.
Peut-on se rappeler que Léopold Sédar Senghor comme Abdou Diouf, avaient mis à profit des instants aussi solennels pour annoncer à leurs concitoyens la réforme majeure de suppression du poste de Premier ministre. Macky Sall a laissé le soin à Mahammed Dionne, d’annoncer lui-même, dans la foulée de sa reconduction, le 5 avril 2019, la suppression de son poste. Il explicita ainsi, dans un langage moins ésotérique, la réforme préfigurait dans une déclaration lue, quelques instants avant lui par le Secrétaire général de la présidence de la République, Maxime Jean Simon Ndiaye. Alea jacta !
Une réforme pour convenances personnelles du chef de l’État
Sans un Premier ministre à la tête du gouvernement, le Président Sall pense qu’il aura les coudées plus franches pour gouverner et que l’action du gouvernement sera plus efficiente et efficace. Une expression persane dit : « Nul autre que mon doigt ne me grattera le dos. » On peut ne pas douter des intentions louables du président de la République mais il reste que « la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions ». Le Président Macky Sall encourt de réels risques avec une telle réforme. L’option semble définitive et on voit mal le Président Sall retirer un projet qui prend en émoi le débat public. Battre en retraite sur un projet de cette envergure traduirait qu’en prenant la décision le président aurait agi avec une désinvolture coupable.
Aussi, le Président Sall s’est-il déjà assuré que sa majorité va voter les réformes constitutionnelles subséquentes, à la majorité des 3/5 des membres de l’Assemblée nationale ? Ses alliés seront-ils enchantés de voter une réforme aussi importante dont ils n’ont pas été associés à l’élaboration ? Moustapha Niasse semble lui avoir donné son onction au projet. Dans le camp politique du Président Sall, notamment dans son parti, l’Alliance pour la République (Apr), on peut bien se demander si tous les responsables seront alignés comme dans un peloton de conscrits pour soutenir le projet. Il pourrait se trouver des responsables politiques qui se verraient un destin de Premier ministrable qui ne voudraient pas participer à tuer leurs rêves. On pourrait craindre des résistances d’autant que les péripéties de la formation du gouvernement ont pu révéler quelques frustrations chez de nombreux responsables politiques.
En outre, la servilité de Mahammed Dionne sera-t-elle à toute épreuve ? Le Premier ministre Habib Thiam n’avait pas souscrit au projet de suppression de son poste et le Président Diouf le mit à l’aise en désignant Moustapha Niasse pour endosser la suppression du poste de Premier ministre. Par ailleurs, l’histoire politique du Sénégal a montré, bien des fois, que tous ceux qui ont eu avec un chef d’État une servilité du type du chien avec son maître, se sont révélés être ses plus féroces bourreaux. On peut citer les cas de Abdou Diouf avec Léopold Sédar Senghor, de Djibo Ka avec Abdou Diouf ou de Moustapha Niasse avec Abdou Diouf.
Dans les mêmes circonstances, Moustapha Niasse, nommé Premier ministre intérimaire, en 1983, avait défendu devant l’Assemblée nationale le projet de suppression du poste de Premier ministre. Il reste que quand Moustapha Niasse avait fini par comprendre que Abdou Diouf lui préférait Ousmane Tanor Dieng pour sa succession, il s’était transformé en tueur impitoyable de Abdou Diouf. Macky Sall, lui-même, avait tout accepté de Abdoulaye Wade jusqu’au jour où il a été définitivement convaincu que Abdoulaye Wade se préparait à refiler le pouvoir à son fils Karim Wade. On connait la suite…
Au demeurant, la réforme envisagée constitue, sans conteste, une réforme fondamentale qui changera le visage et l’architecture des institutions publiques au Sénégal. De telles réformes conduites de manière unilatérale, peuvent susciter des actions inattendues. Les populations suspectent souvent des intentions inavouées derrière de pareilles réformes. C’était le cas notamment avec des réformes envisagées par le Président Wade qui avaient fini par provoquer la révolte populaire, un fameux 23 juin 2011 et qui avaient sonné le glas de son régime. Contraint par la rue, Abdoulaye Wade, pourtant élu trois ans plus tôt, au premier tour avec plus de 57% des suffrages, avait fini par retirer son projet controversé. Qu’est-ce qui garantit que les populations sénégalaises ne pourraient pas être amenées à exprimer un rejet massif de la nouvelle réforme préconisée par le Président Sall ?
Le cas échéant, ce serait un camouflet. Une victoire politique de l’opposition sur un tel sujet rendrait encore délicate la gouvernance durant ce second mandat du Président Sall et autoriserait tous les espoirs pour l’opposition de remporter les élections locales de décembre 2019 et les élections législatives de 2022. Qui pourra enlever des esprits que le Président Sall voudrait ainsi anticiper sur les législatives de 2022 pour s’enlever tout risque d’une cohabitation ? Avec cette réforme, une crise politique majeure serait observée au cas où une majorité parlementaire opposée au Président Sall sortirait de ce scrutin. Il va de soi qu’une majorité qui n’aura pas ainsi la possibilité de former un gouvernement bloquerait systématiquement l’action du gouvernement en place.
La façon unilatérale par laquelle le projet de réforme est annoncé va conforter l’opposition dans son scepticisme quant au dialogue proposé par le Président Sall. Jusqu’ici, l’opposition décidait d’un boycott systématique des appels aux dialogues et autres concertations politiques, qui ne pouvaient véritablement être crédibles en se plaignant de ses propres turpitudes. Dans le cas d’espèce, ils pourront retourner au Président Sall le refus de dialoguer de manière sincère, sérieuse et franche. Déjà, le Parti démocratique sénégalais (Pds) s’est ravisé, par la voix de Me Elhadji Amadou Sall, qui a indiqué ce dimanche 14 avril 2019, à l’émission Grand Jury de la Rfm, sa disponibilité à prendre part, cette fois-ci, au dialogue politique proposé par le Président Macky Sall. Quel sera l’objet ou le contenu des discussions après que la réforme changeant fondamentalement les règles de la gouvernance publique aura déjà fini d’être adoptée ?
Comment brider ses poulains et prétendre gagner une course
On le répète, le Président Sall justifierait son projet par une volonté d’avoir une meilleure prise ou une autorité plus directe sur les membres de son gouvernement. Qu’est-ce qu’il peut compter obtenir comme autorité sur le gouvernement qu’il n’avait pas déjà ? Au surplus, un Premier ministre comme Mahammed Dionne accepterait même de ne pas ouvrir son propre courrier si le chef de l’État le lui demandait. Du reste, toute autre personne placée à la tête du gouvernement obéirait au « boss » sans rechigner, au risque d’être démis immédiatement. Il ne saurait y avoir de doute. C’est dire que l’argument selon lequel le président de la République voudrait disposer davantage de ses ministres ne saurait véritablement prospérer.
Comme tout autant, l’argument selon lequel en supprimant le poste de Premier ministre, le Président Sall chercherait à éviter les petites querelles dans son gouvernement entre rivaux politiques candidats à la succession en 2024. Si nommer une personnalité politique comme Premier ministre pourrait être perçu comme un choix d’un dauphin et que ce dernier pourrait chercher à conforter son assise, pourquoi ne pas chercher un profil moins enclin à une course à la succession ? Et puis comment le Président Sall pourra-t-il continuer à maintenir sous l’éteignoir les ambitions des personnalités politiques de son camp en direction de la prochaine Présidentielle ?
En demandant à ses proches de ne faire montre de la moindre velléité ou ambition de se lancer pour la course de 2024, Macky Sall serait en train de leur causer un tort. En effet, pendant que les éventuels candidats dans le camp présidentiel rongent leurs freins, d’autres candidats de l’opposition se mettent déjà à préparer cette échéance. Ne prendront-ils pas une certaine avance à l’heure du top départ ? Macky Sall ne saurait choisir de se faire succéder par un adversaire politique.