Tout ce qu’il faut comprendre dans le dossier libyen et la campagne 2007 de Sarkozy
koumpeu.com–L’ancien président de la République a été mis en examen à l’issue de deux journées en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur un soupçon de financement de sa campagne de 2007 par la Libye de Mouammar Kadhafi. Ouest-France décrypte les différents aspects de cette affaire. Il est question de coffre-fort, d’une tente, de valises d’argent, de note en arabe.
Nicolas Sarkozy vient de passer deux journées en garde à vue. L’ancien président de la République était entendu dans les locaux de la police judiciaire de Nanterre par des agents de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). A l’issue, il a été mis en examen pour corruption passive, financement illicite de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens.
C’est le dernier rebondissement dans l’affaire des soupçons de financement par le régime libyen de la campagne victorieuse de Nicolas Sarkozy en 2007. Un dossier pour lequel la justice française avait ouvert une information judiciaire en 2013.
Nicolas Sarkozy a toujours nié avoir bénéficié de quoi que ce soit. Voici quelques éléments pour comprendre cette affaire aux multiples ramifications.
Une tente en Libye
Tout a commencé en Libye. Au début des années 2000, ce pays riche en pétrole est toujours au ban des nations. A sa tête : Mouammar Kadhafi, dictateur colonel depuis 1969, dont les frasques et la personnalité ont défrayé la chronique. Le pays est accusé de terrorisme d’État, notamment après la désintégration en plein vol d’un Boeing de la PanAm au-dessus de Lockerbie, en Ecosse, en 1988 (270 morts), et l’explosion du vol français DC10 d’UTA au Niger en 1989 (170 morts).
Mais à la faveur de signes de coopération du pays avec le reste de la communauté internationale, des sanctions économiques sont abandonnées en 2004. La Libye sent toujours le souffre, mais des relations reprennent. Après le président Jacques Chirac, c’est Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur de la France, qui rend à Kadhafi une visite officielle en 2005. Sous une tente bédouine, les deux hommes discutent. Officiellement, il est question de migration et de Méditerranée. Officieusement ? C’est toute la question.
Un mémo, publié par le site Mediapart, peut faire penser que d’autres décisions auraient été prises. Un deal sur le financement de la campagne présidentielle de Sarkozy a-t-il été passé sous la tente ? Nicolas Sarkozy le dément.Toujours est-il que quelques semaines après l’élection de Nicolas Sarkozy, en 2007, les relations avec la Libye semblent au beau fixe. L’épineux dossier des infirmières bulgares trouve un épilogue heureux. Cécilia Sarkozy, l’épouse du président, et Claude Guéant, secrétaire général de l’Elysée, partent en Libye et obtiennent la libération de ces femmes, qui étaient accusées d’avoir transmis le VIH à des enfants et étaient détenues dans le pays.
Quelques mois plus tard, c’est Kadhafi qui est reçu en visite officielle à Paris. Il a le privilège de planter sa tente dans le parc de l’hôtel Marigny en face de l’Élysée. Sa venue suscite la controverse en France. A-t-on promis une respectabilité à Kadhafi en échange de la libération des Bulgares ? A l’époque, on ne parle pas d’argent.
Une note publiée par Médiapart
En 2012, une note, écrite en arabe, encadrée par un liseré vert et datée de décembre 2006, est publiée par le site Mediapart, dont les journalistes enquêtent sur « les secrets libyens » supposés du président Sarkozy. Elle est attribuée à l’ex-chef des renseignements Moussa Koussa et semble accréditer un financement d’environ 50 millions d’euros. Est-ce de cela qu’il a été question lors du voyage libyen de Nicolas Sarkozy ?
Extrait du texte traduit : « En référence aux instructions émises par le bureau de liaison du comité populaire général concernant l’approbation d’appuyer la campagne électorale du candidat aux élections présidentielles, Monsieur Nicolas Sarkozy, pour un montant d’une valeur de cinquante millions d’euros. Nous vous confirmons l’accord de principe quant au sujet cité ci-dessus […] ». C’est un faux, rétorque Nicolas Sarkozy.
Dans le texte, apparaissent aussi les noms de Brice Hortefeux, proche de Nicolas Sarkozy et ministre sous sa présidence, et de Ziad Takieddine, le Franco-libanais homme d’affaires et de réseaux. Dès 2012, ce dernier parle d’un financement libyen et de son rôle d’intermédiaire pour rapprocher la Libye et la France.
Trois valises pleines d’argent liquide
En novembre 2016, juste avant la primaire des Républicains à laquelle participe Nicolas Sarkozy, tombent de nouvelles accusations fracassantes: Ziad Takieddine assure avoir remis entre fin 2006 et début 2007 cinq millions d’euros d’argent libyen au futur chef de l’Etat et à son directeur de cabinet Claude Guéant. L’argent en liquide aurait été transporté dans trois valises, raconte-il à Mediapart. Des liasses de billets de 200 et de 500 euros.
Ziad Takieddine assure que les valises ont été déposées directement au ministère de l’Intérieur, dans le bureau de Claude Guéant. Pour le troisième voyage, il dit avoir effectué la remise, toujours place Beauvau, mais « directement en haut » dans un appartement où se trouvait Nicolas Sarkozy avec qui il dit avoir évoqué le dossier des infirmières bulgares alors emprisonnées en Libye.
Ziad Takieddine est alors mis en examen pour « complicité de corruption et de trafic d’influence actifs et passifs ». Puis pour complicité de diffamation après les plaintes de Claude Guéant et de Nicolas Sarkozy, qui démentent une nouvelle fois.
Un coffre-fort dans lequel on se tient debout
En 2007, à partir du printemps et pendant quatre mois, Claude Guéant a loué un (très) vaste coffre-fort dans l’agence BNP de Paris Opéra. On peut s’y tenir debout. Claude Guéant s’y serait rendu à sept reprises.On est alors en pleine campagne présidentielle.
Ce coffre servait à conserver des archives, notamment les discours de Nicolas Sarkozy, affirme-t-il aux enquêteurs. Pas de l’argent.
Des marines flamandes
Par ailleurs, Claude Guéant est mis en examen pour « blanchiment de fraude fiscale ». Il a perçu, le 3 mars 2008, 500000 euros d’un avocat malaisien. Il invoque la vente de deux tableaux flamands, des marines. Leurs noms, selon le journal Le Monde : « Navires par mer agitée » et « Vaisseaux de haut bord par mer agitée ». Leur valeur serait bien moindre, selon les enquêteurs qui mettent en doute la version de Claude Guéant.
Toujours est-il que ces derniers remontent la piste: l’avocat a reçu deux jours plus tôt la même somme d’un riche Saoudien, Khaled Bugshan, également mis en examen. Et le banquier qui a effectué la transaction est en lien avec Bachir Saleh – argentier du régime de Kadhafi – et l’homme d’affaires Alexandre Djouhri, soupçonné d’avoir lui aussi servi d’intermédiaire à d’éventuels versements entre Tripoli et l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy.
Une villa à Mougins
On retrouve Alexandre Djouhri, homme d’affaires franco-algérien, et intermédiaire financier familier des réseaux de la droite française. Il est soupçonné d’être l’auteur de montages financiers pour faire passer l’argent libyen, en France. Il est l’un des personnages clefs de cette histoire qui fait maintenant un détour par les Alpes-Maritimes et la commune de Mougins, près de Cannes. Là, en 2009, une villa a été achetée dix millions d’euros par le fonds souverain libyen géré par Bachir Saleh. Les enquêteurs soupçonnent Alexandre Djouhri d’en avoir été le dernier propriétaire et de l’avoir vendu à un prix très surévalué. Des montages financiers ont-ils servi à transférer des fonds libyens à travers la cession de cette villa ? La justice s’interroge.
Sous le coup d’un mandat d’arrêt, Alexandre Djouhri a été interpellé le 7 janvier 2018 à Londres. Son extradition vers la France doit être examinée. Quant à Bachir Saleh, blessé par balles par des inconnus il y a un mois à Johannesburg où il s’était exilé, les juges se sont déplacés en avril 2017 pour l’interroger, mais il aurait exercé son droit au silence.
Des enveloppes de billets
Et il y a ces enveloppes dont parlent des membres de l’équipe de campagne de Sarkozy. En septembre 2017, l’office anticorruption pointe dans un rapport une importante circulation d’espèces lors de la campagne de 2007: 200 à 2000 euros ont été distribuées à des membres de l’équipe du candidat. « Tout le monde venait chercher son enveloppe », a relaté une ex-salariée.
Éric Woerth, trésorier de la campagne, et l’un de ses adjoints assurent que l’argent provenait de dons anonymes de militants. « Je ne sais pas si ces millions ou milliards de Kadhafi ont existé, je n’en sais strictement rien mais comme trésorier de la campagne, je ne les ai jamais vus », dit-il en 2017. « On cherche à m’entraîner depuis cette campagne de 2007 dans cette soi-disant affaire rocambolesque Kadhafi. »
Un plateau télé
Pour le moment, personne ne sait si des éléments de preuve incriminant Nicolas Sarkozy sont aux mains des juges. Il a été mis en examen ce jeudi.
Interrogé en novembre 2016 sur les accusations de Ziad Takieddine sur France 2 lors d’un débat de la primaire à droite, l’ex-président avait rétorqué en tançant le journaliste David Pujadas : « Quelle indignité ! Nous sommes sur le service public. Vous n’avez pas honte, vous n’avez pas honte de donner écho à un homme qui a fait de la prison, qui a été condamné à d’innombrables reprises pour diffamation et qui est un menteur. Ce n’est pas l’idée, voyez-vous que je me fais du service public. »
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source: ouest-france