JE SOUTIENS L’ÉCOLE SAINTE JEANNE D’ARC ( Madiambal Diagne )
Nul n’a encore vu au Sénégal des parents de confession chrétienne choisir d’inscrire leurs enfants dans une école dont l’orientation religieuse islamique est affichée ostensiblement et y exiger des comportements singularisants pour leur progéniture
La question de l’interdiction du port du voile au sein de l’institution Sainte Jeanne d’Arc a suscité beaucoup de réactions et d’émois. Des réactions qui ne sont fondées pour la plupart que sur un rejet aveugle et le confort des idées toutes faites. Le ministère de l’Education nationale croit mettre un terme à cette polémique en reprochant à l’établissement concerné d’être auteur «d’actes discriminatoires d’ordre socio-culturel», avant d’indiquer la non-conformité d’une telle démarche à la Constitution du Sénégal qui garantit le respect de toutes les croyances. Au demeurant, devrait-on se féliciter que le nouveau ministre de l’Education nationale, Mamadou Talla, veuille retourner aux fondamentaux du respect de la Constitution et de la loi républicaine. On ose ainsi espérer qu’il rétablira la légalité républicaine pour restaurer dans leurs droits constitutionnels les élèves, parents d’élèves et propriétaires des écoles du groupe scolaire Yavuz Selim, fermées depuis deux longues années, sur injonction de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
L’excuse de provocation
Une certaine opinion publique s’est plus ou moins émue que les responsables de l’institution d’enseignement privé catholique Sainte Jeanne d’Arc aient voulu interdire des comportements dans l’enceinte de leur établissement scolaire. D’aucuns ont voulu jeter la pierre sur les responsables de l’école, accusés de discrimination. On a même vu des gens parler de croisade anti-islamique. Or, l’attitude des élèves et des parents constitue purement et simplement une provocation à l’égard des responsables de l’école et même des autres élèves. Quel est le responsable d’une école qui ne réagirait pas devant une situation où des élèves refusent de s’asseoir à côté d’autres, au motif qu’ils sont de sexe opposé ; les mêmes élèves qui refusent de se mêler à leurs camarades de classe dans les activités pédagogiques ou refusent de se faire suivre dans les rangs par des élèves de sexe opposé, ou même qui développent un communautarisme exclusif au sein de l’établissement, sur des bases confessionnelles et de pratiques religieuses ? Un chef d’établissement responsable, même dans une école publique, aurait exclu de tels élèves qui adopteraient des comportements et attitudes du genre. Il y a véritablement des actes et attitudes de provocation manifeste, autrement les parents effarouchés par l’attitude de l’école Sainte Jeanne d’Arc auraient inscrit leurs enfants dans une autre école où ils ne rencontreraient pas de difficultés à se vêtir à leur façon et où ils ne gêneraient personne par leurs comportements. Quand on paie de sa poche pour choisir un modèle d’éducation pour son enfant, on peut voir ailleurs si ce modèle ne vous agrée plus. A la vérité, ces parents sont en train de mettre en péril la scolarité de leurs enfants, car on ne voit pas les responsables de l’école Sainte Jeanne d’Arc reculer, renoncer à faire régner l’ordre et la discipline au sein de leur établissement. Est-ce que le ministre de l’Education nationale va requérir la force publique pour introduire les élèves bannis en salle de classe ? On peut aussi considérer que le gouvernement a d’autres urgences que de s’engager dans un combat pareil. S’imagine-t-on le tollé que provoquerait un élève inscrit à l’institution Mariama Niasse, dont l’obédience islamique est marquée et qui porterait à son cou une croix, ou une fille inscrite dans cette même école et qui refuserait de mettre le voile ? D’ailleurs, un certain irrédentisme islamique prescrit aux croyants qui craindraient d’altérer leurs pratiques ou us et coutumes religieuses de ne pas vivre au sein d’une communauté non musulmane à «moins que cette immersion dans la communauté non musulmane ne résulte d’une nécessité impérieuse». Que ceux qui voudraient faire mettre le voile à leurs filles dès le berceau les inscrivent dans des écoles qui s’en accommoderaient. Dieu sait qu’il en existe au Sénégal et à tous les coins de rue. Cette affaire aura permis à certains milieux fondamentalistes de chercher à s’emparer d’un combat pour «instaurer une société et un modèle islamiste dans l’éducation». Cela ne saurait être acceptable. Dans tous les cas, nul n’a encore vu au Sénégal des parents de confession chrétienne choisir d’inscrire leurs enfants dans une école dont l’orientation religieuse islamique est affichée ostensiblement et y exiger des comportements singularisants pour leur progéniture. Du reste, qui peut accuser les écoles privées catholiques d’ostracisme contre les élèves de confession religieuse musulmane ? Aucune école privée catholique n’interdit par exemple aux élèves musulmans de pratiquer le jeûne, ou les inscrit de force à des cours de catéchèse. Les autorités de l’Etat invoquent la légalité et le respect de la Constitution ? Soit ! Pourquoi diantre ne pas pousser la logique jusqu’à introduire l’enseignement en français, la langue officielle du Sénégal, dans des établissements d’enseignement de certaines villes religieuses musulmanes du Sénégal ? S’est-on aussi interrogé sur la «légalité constitutionnelle» d’ériger des écoles publiques exclusivement destinées à des filles ou des garçons, comme le sont par exemple l’institution Mariama Ba de Gorée ou le Prytanée militaire Charles Tchoréré de Saint-Louis ?
Cette affaire du port du voile à l’école Sainte Jeanne d’Arc a posé la question de la laïcité. Il convient en effet de chercher à comprendre le modèle sénégalais.
La laïcité positive de Senghor
Le modèle laïc prôné par l’Etat est à comprendre dans un prisme différent de ce qui est entendu par laïcité dans d’autres contrées. Le Sénégal a une histoire particulière avec une cohabitation entre religions traditionnelles, christianisme et islam. C’est un pays pour lequel le fait religieux a grandement joué dans la gouvernance des populations et modelé l’organisation sociale. La logique de faire respecter toutes les confessions et d’assurer leur parfaite cohabitation a été un chantier sur lequel le Président Léopold Sédar Senghor a misé énormément pour trouver un modèle adéquat d’équilibre sans que nul ne soit lésé. A cet effet, un distinguo a rapidement été fait entre ce qui est entendu juridiquement par Etat laïc dans des pays comme la France, et d’éviter toute transposition d’un arsenal juridique à des réalités bien différentes. La laïcité comme confinement de la religion dans la sphère privée n’a pas été l’option choisie. La religion était vue par le Président Senghor comme une part constituante de l’identité des citoyens sénégalais. Cette orientation d’une laïcité positive intégrant la foi à la vie publique est différente des formes appliquées ailleurs, avec une séparation nette de la religion et de l’Etat. L’Etat sénégalais se positionne en garant des libertés religieuses et du respect des confessions. Mieux, l’Etat du Sénégal ne s’interdit pas de construire ou réfectionner des cathédrales ou des mosquées ou autres lieux de cultes religieux. Il n’empêche que les critiques peuvent ne pas manquer dans un modèle où le religieux est accommodé par tout moyen. L’Etat qui manœuvre avec le religieux est critiquable à bien des niveaux. Toutefois, dans un contexte où des traditions sont ancrées, se conformer à celles-ci dans les limites du raisonnable n’est que contribution positive à une meilleure vie commune. Le Président Abdou Diouf ne s’y trompait pas, lorsqu’interpellé sur les questions de libertés religieuses ; il précisait à propos du modèle laïc sénégalais : «La laïcité ne saurait être anti-religieuse : ce ne serait d’ailleurs pas une véritable laïcité, ce serait comme, hélas, dans certains pays, instituer l’athéisme comme religion d’Etat.» L’Etat sénégalais s’est toujours voulu un garant des libertés de culte dans une société plurielle. Le modèle tient bon, malgré les velléités de plusieurs milieux de pousser à un Sénégal mono-confessionnel, avec des cavaliers d’une foi pure qui contraindraient tout «ceddo». Il serait donc intéressant et bienvenu que tous les intervenants au débat sur l’institution Sainte Jeanne d’Arc fassent de même à la prochaine occasion qu’un quelconque groupe au Sénégal verrait ses libertés menacées. On a vu des populations empêcher la construction d’une église dans un quartier ou une localité. On a vu des fidèles chassés à coups de pierres au moment d’un office religieux.
Une lettre du Président Senghor au chef religieux Cheikh Ousmane Sountou Badji, sur le rôle de l’Etat comme garant de la laïcité sénégalaise, mérite d’être relue. «Comme vous le savez, le Sénégal est un Etat laïc, où les religions, s’exerçant librement, orientent leur activité vers l’entente, la solidarité et la fraternité entre ceux qui y adhèrent. Ainsi musulmans, catholiques, protestants et animistes travaillent sans entrave à la propagande de leur religion. C’est dire que la seule limite dans ce domaine, c’est la sûreté de l’Etat, parce que l’Etat assure la protection des droits de l’ensemble des citoyens. Et il le fait grâce aux institutions de la République, dont la nature, le statut et le fonctionnement sont déterminés par la Constitution. Lorsqu’un citoyen, quelle que soit sa condition, entreprend une action non autorisée aux termes de cette Constitution et accomplit ainsi des actes sans détenir, de par la Constitution, les qualités et prérogatives requises, il s’engage par-là dans une voie que les institutions de l’Etat ne peuvent tolérer. Il est alors de leur devoir d’y mettre un terme, conformément à la loi.»
L’éducation publique est à sauver
L’affaire Jeanne d’Arc doit pousser à une interrogation sérieuse sur le déclin de l’école publique. Nous n’avons de cesse de répéter cela dans ces colonnes, l’école publique sénégalaise est à sauver à tout prix. L’éducation nationale accessible à tous est le meilleur des leviers démocratiques, ascenseur social et outil de formation d’une Nation. Son déclin constaté année après année et la place de plus en plus grande prise par le privé dans un secteur aussi stratégique sont à corriger. Loin de nous l’idée de refuser la contribution de l’éducation privée. Je continue moi-même d’investir dans ce créneau. Il semble toutefois plus judicieux que tous les Sénégalais puissent avoir une offre rigoureuse et crédible d’éducation publique. L’école de la République serait le meilleur endroit pour faire respecter les libertés de tous. La privatisation, quelle qu’elle soit, instaure ses règles et oriente son fonctionnement à partir de ses principes. Il est regrettable pour un pays comme le Sénégal, où la grande majorité des cadres et de l’élite sont les fruits de l’école publique, de voir son système d’éducation nationale à bout de souffle.
Eviter les extrêmes
Le respect de la différence et la tolérance sont des éléments majeurs sur lesquels la génération actuelle de Sénégalais devra veiller pour ne point compromettre le legs aux générations futures. Le débat public montre, sur les récentes questions, des positions de plus en plus radicales et un refus catégorique d’échanger de façon constructive. L’élection présidentielle de février 2019 a été une manifestation de cette impossibilité pour nos compatriotes d’échanger de façon sereine. Les insultes, invectives et le déni sont les armes favorites pour s’empêcher l’effort de réflexion, de confronter des idées ou de se voir contredire sur tous les débats. De tout bord, un refus catégorique de discuter et d’échanger est la chose la plus partagée. La tentation de vouloir rendre le débat public homogène ou le marquer d’un sceau religieux se manifeste de plus en plus. Tout cherche à être expliqué à partir de sa conformité ou non à la religion de la majorité. Une telle tendance est amplifiée par un réseau d’associations religieuses et de prêcheurs se faisant les porteurs d’un sabre et d’un chapelet et se pensant libres de professer une morale publique. Ce sont des adversaires du modèle laïc sénégalais, auxquels il faudra prêter attention pour éviter tout péril. Les poussées pour censurer la créativité, orienter vers un penser «licite» voire conforme à une foi, ne sont que les prémisses de leur projet. Ces cavaliers de la «bonne vertu» se dressent sous nos yeux et tentent de s’ériger en censeurs d’opinions. Dans un contexte d’une sous-région faisant face à une montée des extrémismes communautaires comme religieux, savoir raison garder s’impose. Il est venu le temps de dire à ces «champions des vertus» que leur morale n’est pas celle de tous, que leur foi n’est pas celle de tous, que la vérité sur terre est «un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé» pour reprendre Rumi. A chacun son bout de miroir cassé, libre à lui d’en faire sa vérité ! Le Sénégal reste une République laïque, consacrant les libertés de tous. Le chrétien, le musulman, le juif, le «ceddo», l’athée y ont tous leur place et sont libres de s’y épanouir comme bon leur semble. Assurément, l’école Sainte Jeanne d’Arc est bien loin de constituer une menace pour la laïcité au Sénégal. On ne pourrait pas dire autant de nombreux autres lieux d’éducation et d’enseignement.
L’excuse de provocation
Une certaine opinion publique s’est plus ou moins émue que les responsables de l’institution d’enseignement privé catholique Sainte Jeanne d’Arc aient voulu interdire des comportements dans l’enceinte de leur établissement scolaire. D’aucuns ont voulu jeter la pierre sur les responsables de l’école, accusés de discrimination. On a même vu des gens parler de croisade anti-islamique. Or, l’attitude des élèves et des parents constitue purement et simplement une provocation à l’égard des responsables de l’école et même des autres élèves. Quel est le responsable d’une école qui ne réagirait pas devant une situation où des élèves refusent de s’asseoir à côté d’autres, au motif qu’ils sont de sexe opposé ; les mêmes élèves qui refusent de se mêler à leurs camarades de classe dans les activités pédagogiques ou refusent de se faire suivre dans les rangs par des élèves de sexe opposé, ou même qui développent un communautarisme exclusif au sein de l’établissement, sur des bases confessionnelles et de pratiques religieuses ? Un chef d’établissement responsable, même dans une école publique, aurait exclu de tels élèves qui adopteraient des comportements et attitudes du genre. Il y a véritablement des actes et attitudes de provocation manifeste, autrement les parents effarouchés par l’attitude de l’école Sainte Jeanne d’Arc auraient inscrit leurs enfants dans une autre école où ils ne rencontreraient pas de difficultés à se vêtir à leur façon et où ils ne gêneraient personne par leurs comportements. Quand on paie de sa poche pour choisir un modèle d’éducation pour son enfant, on peut voir ailleurs si ce modèle ne vous agrée plus. A la vérité, ces parents sont en train de mettre en péril la scolarité de leurs enfants, car on ne voit pas les responsables de l’école Sainte Jeanne d’Arc reculer, renoncer à faire régner l’ordre et la discipline au sein de leur établissement. Est-ce que le ministre de l’Education nationale va requérir la force publique pour introduire les élèves bannis en salle de classe ? On peut aussi considérer que le gouvernement a d’autres urgences que de s’engager dans un combat pareil. S’imagine-t-on le tollé que provoquerait un élève inscrit à l’institution Mariama Niasse, dont l’obédience islamique est marquée et qui porterait à son cou une croix, ou une fille inscrite dans cette même école et qui refuserait de mettre le voile ? D’ailleurs, un certain irrédentisme islamique prescrit aux croyants qui craindraient d’altérer leurs pratiques ou us et coutumes religieuses de ne pas vivre au sein d’une communauté non musulmane à «moins que cette immersion dans la communauté non musulmane ne résulte d’une nécessité impérieuse». Que ceux qui voudraient faire mettre le voile à leurs filles dès le berceau les inscrivent dans des écoles qui s’en accommoderaient. Dieu sait qu’il en existe au Sénégal et à tous les coins de rue. Cette affaire aura permis à certains milieux fondamentalistes de chercher à s’emparer d’un combat pour «instaurer une société et un modèle islamiste dans l’éducation». Cela ne saurait être acceptable. Dans tous les cas, nul n’a encore vu au Sénégal des parents de confession chrétienne choisir d’inscrire leurs enfants dans une école dont l’orientation religieuse islamique est affichée ostensiblement et y exiger des comportements singularisants pour leur progéniture. Du reste, qui peut accuser les écoles privées catholiques d’ostracisme contre les élèves de confession religieuse musulmane ? Aucune école privée catholique n’interdit par exemple aux élèves musulmans de pratiquer le jeûne, ou les inscrit de force à des cours de catéchèse. Les autorités de l’Etat invoquent la légalité et le respect de la Constitution ? Soit ! Pourquoi diantre ne pas pousser la logique jusqu’à introduire l’enseignement en français, la langue officielle du Sénégal, dans des établissements d’enseignement de certaines villes religieuses musulmanes du Sénégal ? S’est-on aussi interrogé sur la «légalité constitutionnelle» d’ériger des écoles publiques exclusivement destinées à des filles ou des garçons, comme le sont par exemple l’institution Mariama Ba de Gorée ou le Prytanée militaire Charles Tchoréré de Saint-Louis ?
Cette affaire du port du voile à l’école Sainte Jeanne d’Arc a posé la question de la laïcité. Il convient en effet de chercher à comprendre le modèle sénégalais.
La laïcité positive de Senghor
Le modèle laïc prôné par l’Etat est à comprendre dans un prisme différent de ce qui est entendu par laïcité dans d’autres contrées. Le Sénégal a une histoire particulière avec une cohabitation entre religions traditionnelles, christianisme et islam. C’est un pays pour lequel le fait religieux a grandement joué dans la gouvernance des populations et modelé l’organisation sociale. La logique de faire respecter toutes les confessions et d’assurer leur parfaite cohabitation a été un chantier sur lequel le Président Léopold Sédar Senghor a misé énormément pour trouver un modèle adéquat d’équilibre sans que nul ne soit lésé. A cet effet, un distinguo a rapidement été fait entre ce qui est entendu juridiquement par Etat laïc dans des pays comme la France, et d’éviter toute transposition d’un arsenal juridique à des réalités bien différentes. La laïcité comme confinement de la religion dans la sphère privée n’a pas été l’option choisie. La religion était vue par le Président Senghor comme une part constituante de l’identité des citoyens sénégalais. Cette orientation d’une laïcité positive intégrant la foi à la vie publique est différente des formes appliquées ailleurs, avec une séparation nette de la religion et de l’Etat. L’Etat sénégalais se positionne en garant des libertés religieuses et du respect des confessions. Mieux, l’Etat du Sénégal ne s’interdit pas de construire ou réfectionner des cathédrales ou des mosquées ou autres lieux de cultes religieux. Il n’empêche que les critiques peuvent ne pas manquer dans un modèle où le religieux est accommodé par tout moyen. L’Etat qui manœuvre avec le religieux est critiquable à bien des niveaux. Toutefois, dans un contexte où des traditions sont ancrées, se conformer à celles-ci dans les limites du raisonnable n’est que contribution positive à une meilleure vie commune. Le Président Abdou Diouf ne s’y trompait pas, lorsqu’interpellé sur les questions de libertés religieuses ; il précisait à propos du modèle laïc sénégalais : «La laïcité ne saurait être anti-religieuse : ce ne serait d’ailleurs pas une véritable laïcité, ce serait comme, hélas, dans certains pays, instituer l’athéisme comme religion d’Etat.» L’Etat sénégalais s’est toujours voulu un garant des libertés de culte dans une société plurielle. Le modèle tient bon, malgré les velléités de plusieurs milieux de pousser à un Sénégal mono-confessionnel, avec des cavaliers d’une foi pure qui contraindraient tout «ceddo». Il serait donc intéressant et bienvenu que tous les intervenants au débat sur l’institution Sainte Jeanne d’Arc fassent de même à la prochaine occasion qu’un quelconque groupe au Sénégal verrait ses libertés menacées. On a vu des populations empêcher la construction d’une église dans un quartier ou une localité. On a vu des fidèles chassés à coups de pierres au moment d’un office religieux.
Une lettre du Président Senghor au chef religieux Cheikh Ousmane Sountou Badji, sur le rôle de l’Etat comme garant de la laïcité sénégalaise, mérite d’être relue. «Comme vous le savez, le Sénégal est un Etat laïc, où les religions, s’exerçant librement, orientent leur activité vers l’entente, la solidarité et la fraternité entre ceux qui y adhèrent. Ainsi musulmans, catholiques, protestants et animistes travaillent sans entrave à la propagande de leur religion. C’est dire que la seule limite dans ce domaine, c’est la sûreté de l’Etat, parce que l’Etat assure la protection des droits de l’ensemble des citoyens. Et il le fait grâce aux institutions de la République, dont la nature, le statut et le fonctionnement sont déterminés par la Constitution. Lorsqu’un citoyen, quelle que soit sa condition, entreprend une action non autorisée aux termes de cette Constitution et accomplit ainsi des actes sans détenir, de par la Constitution, les qualités et prérogatives requises, il s’engage par-là dans une voie que les institutions de l’Etat ne peuvent tolérer. Il est alors de leur devoir d’y mettre un terme, conformément à la loi.»
L’éducation publique est à sauver
L’affaire Jeanne d’Arc doit pousser à une interrogation sérieuse sur le déclin de l’école publique. Nous n’avons de cesse de répéter cela dans ces colonnes, l’école publique sénégalaise est à sauver à tout prix. L’éducation nationale accessible à tous est le meilleur des leviers démocratiques, ascenseur social et outil de formation d’une Nation. Son déclin constaté année après année et la place de plus en plus grande prise par le privé dans un secteur aussi stratégique sont à corriger. Loin de nous l’idée de refuser la contribution de l’éducation privée. Je continue moi-même d’investir dans ce créneau. Il semble toutefois plus judicieux que tous les Sénégalais puissent avoir une offre rigoureuse et crédible d’éducation publique. L’école de la République serait le meilleur endroit pour faire respecter les libertés de tous. La privatisation, quelle qu’elle soit, instaure ses règles et oriente son fonctionnement à partir de ses principes. Il est regrettable pour un pays comme le Sénégal, où la grande majorité des cadres et de l’élite sont les fruits de l’école publique, de voir son système d’éducation nationale à bout de souffle.
Eviter les extrêmes
Le respect de la différence et la tolérance sont des éléments majeurs sur lesquels la génération actuelle de Sénégalais devra veiller pour ne point compromettre le legs aux générations futures. Le débat public montre, sur les récentes questions, des positions de plus en plus radicales et un refus catégorique d’échanger de façon constructive. L’élection présidentielle de février 2019 a été une manifestation de cette impossibilité pour nos compatriotes d’échanger de façon sereine. Les insultes, invectives et le déni sont les armes favorites pour s’empêcher l’effort de réflexion, de confronter des idées ou de se voir contredire sur tous les débats. De tout bord, un refus catégorique de discuter et d’échanger est la chose la plus partagée. La tentation de vouloir rendre le débat public homogène ou le marquer d’un sceau religieux se manifeste de plus en plus. Tout cherche à être expliqué à partir de sa conformité ou non à la religion de la majorité. Une telle tendance est amplifiée par un réseau d’associations religieuses et de prêcheurs se faisant les porteurs d’un sabre et d’un chapelet et se pensant libres de professer une morale publique. Ce sont des adversaires du modèle laïc sénégalais, auxquels il faudra prêter attention pour éviter tout péril. Les poussées pour censurer la créativité, orienter vers un penser «licite» voire conforme à une foi, ne sont que les prémisses de leur projet. Ces cavaliers de la «bonne vertu» se dressent sous nos yeux et tentent de s’ériger en censeurs d’opinions. Dans un contexte d’une sous-région faisant face à une montée des extrémismes communautaires comme religieux, savoir raison garder s’impose. Il est venu le temps de dire à ces «champions des vertus» que leur morale n’est pas celle de tous, que leur foi n’est pas celle de tous, que la vérité sur terre est «un miroir tombé de la main de Dieu et qui s’est brisé» pour reprendre Rumi. A chacun son bout de miroir cassé, libre à lui d’en faire sa vérité ! Le Sénégal reste une République laïque, consacrant les libertés de tous. Le chrétien, le musulman, le juif, le «ceddo», l’athée y ont tous leur place et sont libres de s’y épanouir comme bon leur semble. Assurément, l’école Sainte Jeanne d’Arc est bien loin de constituer une menace pour la laïcité au Sénégal. On ne pourrait pas dire autant de nombreux autres lieux d’éducation et d’enseignement.
Madiambal Diagne