Tensions USA/Corée du Nord : «De chaque coté, il y a une volonté de montrer qu’on est prêt à tout»
Alors que l’escalade verbale entre les deux pays tourne à l’affaire personnelle, la possibilité d’un conflit armé est de plus en plus actuelle. Comment apaiser les tensions ? Qu’attend Pyongyang ? Entretien avec Benoît Quennedey, président de l’AAFC.
RT France : Des bombardiers américains se sont approchés des côtes nord-coréennes et le chef de la diplomatie nord-coréenne Ri Yong-ho a déclaré au siège des Nations unies que le monde entier devrait se souvenir que «les Etats-Unis ont été les premiers à déclarer la guerre». Un conflit armé est-il proche selon vous ?
Benoît Quennedey (B. Q.) : Aujourd’hui, on ne déclare plus la guerre à un pays comme cela. La déclaration de guerre en droit suppose – du moins dans le droit français – une consultation du Parlement. On en est aujourd’hui pour moi toujours au stade de la guerre verbale, ce qui est en soi est un signe inquiétant, mais il n’y a pas d’action militaire.
Les relations entre la Corée du Nord et les Etats-Unis ont été émaillées de nombreux incidents depuis 1953, à la fin de la guerre de Corée. Il n’y a d’ailleurs pas eu de traité de paix, que l’on attend toujours, mais un traité d’armistice. Il y a eu la capture du Pueblo, le navire espion américain, dans les eaux coréennes en 1968. Il y a eu des affrontements maritimes avec la Corée du Sud, qui ont fait des morts à plusieurs reprises, notamment en 2010 à Yeonpyeong.
Il y a eu la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Il y a eu depuis un certain nombres d’actions militaires, mais on n’en est pas encore arrivé au stade de la guerre
Si l’hypothèse d’un conflit armé peut être prise au sérieux face à la montée des tensions et à l’escalade verbale en cours, nous sommes toujours dans le domaine du discours. De chaque côté, il y a une grande fébrilité, une volonté de montrer qu’on est prêts à tout. Par le passé, les Nord-Coréens ont pu tenir des propos beaucoup plus durs, affirmant que, s’ils étaient attaqués, ils noieraient Séoul sous une mer de feu. Ce qui est nouveau c’est que, auparavant, ils disaient «si nous sommes attaqués» et qu’aujourd’hui, ils laissent entendre que la guerre aurait commencé. Mais à mon sens, une guerre se définit par un enclenchement action / contre-action, suivi d’un engagement total ou partiel de forces armées des pays dans un conflit de long terme. Il y a eu la guerre de Corée entre 1950 et 1953. Il y a eu depuis un certain nombres d’actions militaires, mais on n’en est pas encore arrivé au stade de la guerre.
RT France : Si la Corée du Nord abattait comme elle l’a promis un bombardier américain, cela suffirait-il à déclencher un conflit armé ?
B. Q. : La comparaison avec le Pueblo est peut-être l’exemple le plus parlant. On avait alors eu une longue crise entre les deux pays. Même si on assistait à une action de ce type, cela resterait de l’ordre de l’action militaire et pas de la guerre. Une action militaire même ponctuelle n’est pas encore la guerre, même si, effectivement, on s’en rapproche.
S’agissant de la Corée du Nord, le fait qu’ils aient des propos extrêmement forts vis-à-vis des dirigeants américains n’est pas tout à fait nouveau
RT France : «Petit homme fusée», «vieux sénile»… Les joutes verbales semblent de plus en plus tourner à l’attaque personnelle entre Donald Trump et Kim Jong-un. Y a-t-il matière à s’inquiéter de la tournure que prend cette crise ?
B. Q. : Par rapport aux termes employés par les Nord-Coréens, il faut comprendre que nous ne sommes pas dans une culture occidentale. On trouve dans les discours des comparaisons ou des termes qui représentent la culture politique de chaque pays. Pour donner un exemple, dans la culture vietnamienne, une des insultes les plus courantes est de comparer les personnes à des animaux, et surtout aux insectes. Ce qui donne souvent, dans les traductions, le terme «vermine». Tout propos doit être resitué dans un contexte politique et culturel. S’agissant de la Corée du Nord, le fait qu’ils aient des propos extrêmement forts vis-à-vis des dirigeants américains n’est pas tout à fait nouveau. Je me rappelle cette formule qui avait à l’époque suscité un tollé : les autorités nord-coréennes avaient comparé Barack Obama à un singe. C’était, à mon sens, une métaphore bestiale que l’on retrouve très souvent dans le discours politique coréen aussi bien du nord que du sud – les Sud-Coréens ont régulièrement décrit des dirigeants nord-coréens sous la forme de cochons. Cela relève du bestiaire, ce n’est pas nouveau ou inédit dans ces cultures. D’ailleurs, la comparaison sur Barack Obama n’avait pas nécessairement de connotation raciste. Ce qui est beaucoup plus nouveau est de voir Donald Trump tenir des propos du même type vis-à-vis d’un autre dirigeant étranger, et cela de manière aussi régulière et répétée, donnant effectivement l’impression que cela tourne à l’affaire personnelle.
Pyongyang avait dit de Donald Trump qu’il était avisé et sage. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la rhétorique employée à son encontre est presque à la hauteur de la déception, de l’agacement
Les Nord-Coréens n’ont pas toujours eu des termes aussi négatifs à son encontre. Pendant la campagne présidentielle américaine, Pyongyang avait dit de Donald Trump qu’il était avisé et sage. J’ai l’impression qu’aujourd’hui la rhétorique employée à son encontre est presque à la hauteur de la déception, de l’agacement. Ensuite, il ne faut pas oublier que, pendant la guerre de Corée, la Corée du Nord a été recouverte de bombes. Chaque famille nord-coréenne compte une victime de ce conflit dans ses membres. Le nombre d’entre elles a atteint un quart de la population du pays. Ces propos sont à la mesure d’un ressentiment qui dure depuis plusieurs générations. En quelque sorte, quand les autorités nord-coréennes visent Donald Trump, elles visent le commandant en chef d’une force armée hostile qui, pour eux, a détruit leur pays et le menace à nouveau des pires châtiments.
Ce qui est très dommage est que la Corée du Sud, qui serait aux premières loges d’un conflit, a été marginalisée
RT France : Le nouveau président sud-coréen, Moon Jae-in, n’est pas aussi pro-américain que ses prédécesseurs et son pays serait le premier à souffrir d’un conflit armé. A force de provocations et d’escalades verbales, Donald Trump risque-t-il de perdre un allié de poids dans la région ?
B. Q. : Ce qui est très dommage est que la Corée du Sud, qui serait aux premières loges d’un conflit, a été marginalisée. Quand Moon Jae-in était en campagne électorale, il avait dit qu’il ne fallait pas que la diplomatie de la Corée du Sud s’aligne systématiquement sur celle des Etats-Unis. C’étaient bien sûr des propos de campagne, puisqu’une de ses premières visites en tant que chef d’Etat fut à la Maison Blanche. Néanmoins, la partition politique en Corée du Sud fait que chez les démocrates, dont est issu Moon Jae-in, le sentiment nationaliste est plus ancré. Ils sont pour un dialogue avec le Nord. La dépendance vis-à-vis des Etats-Unis, et notamment la dépendance militaire, est quelque chose qu’ils vivent mal.
La démarche qu’a eue Moon Jae-in quand il a été élu était de dire qu’il fallait poursuivre le dialogue avec la Corée du Nord tout en maintenant l’alliance avec les Etats-Unis. Or, Donald Trump a eu un mot malheureux, quand il y a eu le premier essai balistique intercontinental nord-coréen le 4 juillet, en disant que, désormais, la Corée du Sud se rendait parfaitement compte que cela ne servait à rien de dialoguer avec la Corée du Nord. Il était en train de donner des leçons à un chef d’Etat étranger. Or ce qui caractérise la diplomatie internationale est précisément de dire que tous les chefs d’Etat sont à égalité, qu’ils soient à la tête d’un petit ou d’un grand pays.